Anniversaire

L'autre jour, c'était mon anniversaire. ...4ans. Quoi, répète. Faut déboucher les oreilles un peu. 64 j'ai dit. Oui oh çà va hein ! Les d'jeuns, là. Je vous signale quand même une chose : ce que deux guerres mondiales d'une extrême sauvagerie, plus la menace atomique n'ont pas réussi à faire, vous êtes en train de le réaliser plan plan : détruire la planète. Alors pouète pouète. Oui je sais, je suis de mauvaise foi, et c'est ma force. Bon mais c'est pas l'objet. L'objet, c'est mon anniversaire.
Je passe sur les montagnes de cadeaux dont une station météo, que si les piles se déchargent çà marche quand même : je n'ai qu'à mettre le nez à la fenêtre et je sais le temps qu'il fait. Il y aurait à dire sur les stations météo mais l'objet, c'est mon anniversaire.
Ma fille m'éveille en fréculation de modulance avec "When I'm sixty four" des Beattles.
Bon attendez , d'abord, je mets les points où il en faut. J'ai déjà fait part plus haut de mon état de santé à mon lectorat médusé : je suis tout neuf. Pectoraux d'acier, ventre plat, merci le jardinage. Vous en trouverez, des mecs qui ont l'honnêteté de publier leur bulletin de santé, que personne ne soit pris au dépourvu. Bon c'est vrai que lorsque je vois la gueule des Beattles aujourd'hui, enfin des survivants car il y a eu de la casse, je me dis que ma femme est tranquille : les infidélités que je ne lui ai pas faites, c'est pas maintenant que çà va arriver. Cela dit, j'ai l'avenir devant moi quand je tourne le cul au vent.
Donc je m'éveille avec les Beattles abattant When I'm 64. Sur le coup, je crois que j'ai vingt ans et que je suis rentré hier soir un peu tard de la boum la tête dans le cul. Aussitôt je me lève comme un ressort et là, aïe zut, 64, je suis raide. Mais pas là où il faudrait. Bon, retour à l'amère réalité.
Dans le courant de la journée, je dis à ma fille : tu vas me mettre la chanson sur l'ordi, comme çà je n'ai qu'à cliquer, ce sera mon morceau de l'année, je me le passerai quand j'aurai du chagrin. Trois clics plus tard, c'est fait. Cà, faut reconnaître, les d'jeuns, heureusement qu'on les a. En revanche, elle doit me faire rérécapéter la manip souventefois avant que j'aie compris comment on arrive à ouir, et encore je prends des notes car dans deux jours, j'aurai oublié.
Quand c'est au point, je bidouille moi-même et bien sûr, dès que la musique commence, le rythme me prend. Un vieux reste d'atavisme. Je fus un peu guitariste dans une autre vie il y a ... ben au temps des Beattles quoi. Et là, la futée me filme avec son minuscule késako et me remet dans l'ordinateur sur la musique. Comme çà. Comme moi je décapsule un coca.
Il faut bien dire que c'est la première fois de ma vie que je me vois en film. Oh my God ! Y a pas, c'est bien moi. Chez moi, en négligé du soir. Plus ou moins seyant. Film pour film, je suis bien obligé de faire la comparaison avec ce que je vois habituellement sur un écran. Harrison Ford par exemple. Ce que je vois est affligeant. On devine l'homme qui a beaucoup trimé : j'esquisse mes pas de danse en portant le monde sur mes épaules. C'est consternant. Pas que j'aie vieilli, non, çà c'est plutôt bien, je me vois mal avec une gueule de chérubin. Mais je ne devrais pas danser. Tant que je ne danse pas, je peux faire illusion. Le port est altier. D'ailleurs c'est la première fois que je danse depuis... ben depuis les Beattles quoi. Non attendez, j'ai passé ma vie passionné par mon boulot, vous ne voudriez pas en plus que j'aie trouvé le temps de danser... Faut choisir hein.
C'est navrant. Je suis à la danse ce que l'ours est aux claquettes. Accablement de la désolation. Bon allez, enlève-moi çà. Ah mais pas question ! C'est qu'elle veut se le garder, le truc. Elle ne m'a jamais vu danser, alors c'est un document. Mais comme elle ne m'a jamais vu à poil non plus, faut pas instituer les mauvaises habitudes. Un minimum de tenue ne nuit pas. Tu ne vas pas montrer çà j'espère. On va te demander quel est ce plantigrade dépité que saisit la névrose. Ce pongidé savant sur un air des Beattles. C'est le gag de la semaine. Si quelqu'un voit çà, c'en est fait de ma crédibilité. Vous n'avez jamais vu Zorba danser ? Ouillaillaille ! Dire que c'était un danseur de tango. Ah çà se perd hein ? C'est plus très rock-and-roll tout çà ! Ecoute vieux, si tu nages comme tu danses, reste au bord, ou ne lâche pas la bouée...
Ah ouais, rigolez bien, tas de d'jeuns, on verra ce que vous ferez, à son âge, à Zorba. Avec ce qu'il a vécu Zorba, il a de quoi texticuler jusqu'à la fin de ses jours Zorba. Il a pas passé sa vie à faire le beau lui, et il vous prend encore au bras de fer...
Oh là... Oh là... Mais c'est qu'il mordrait, le vieux ! Il a encore du jus !
En tous cas, Zorba ne dansera plus, mais amenez les bougies, vous allez voir la soufflante !
Now I'm sixty four, tsoin tsoin !