QI
« Elisa Tan-Toberts, d’Edmonton au nord de Londres, 2 ans aux cerises, vient de battre tous les records de quotient intellectuel, avec un résultat de 156, soit 2 points de moins que le meilleur score d’un adulte ! »
Le score de la charmante Elisa nous ravit et on lui souhaite tout le bonheur du monde. C’est le principe du QI, lorsqu’il prétend mesurer l’intelligence, qui nous défrise. Car ce que l’on appelle non sans ostentation des « tests de quotient intellectuel », parfois même avec des majuscules, ne mesurent en réalité qu’une agilité mentale. Laquelle ne gâte rien convenons-en. Mais l’agilité mentale n’est pas toute l’intelligence, loin s’en faut, même si elle y participe.
L’intelligence ne se réduit pas à une rationalité technologique ou procédurale sinon les cerveaux électroniques seraient des génies. L’intelligence se constitue aussi d’empathie par exemple. Comprendre – à défaut de partager – la souffrance d’autrui est aussi une intelligence, et pas la moins belle. Une personne très intelligente peut se montrer très bête dans ses rapports avec autrui et à l’inverse une personne réputée très bête en QI s’avérer très intelligente en ce domaine.
L’agilité intellectuelle ne gâte rien à condition que l’on sache se conduire et se comporter. Sinon à quoi pourrait-elle servir autrement qu’à manipuler des concepts à peu près stériles.
La nature se montre intelligente à un point qu’il nous est difficile d’imaginer comment elle a pu créer un tel foisonnement de formes de vie. Répond-elle pour autant à des tests de QI ? Ici l’intelligence est dans ce mélange étonnant de gaspillage et d’économie de moyens. On dira bien sûr que la nature est ce qui est, qu’elle n’a pas à se montrer intelligente et que c’est à nous qu’il incombe de comprendre cette forme spécifique de créativité. Mais justement, tout est dans l’espèce d’intelligence et elle est si multiforme que la réduire à des tests et des items ne dit rien ou à peu près de ce qu’elle peut être.
Pour moi l’intelligence humaine a pour origine le « sentiment ». Le simple sentiment animal. Mais le chien a développé un odorat infiniment plus subtil que le nôtre et le sentiment qui va avec. Mais l’oiseau a développé une aile infiniment plus porteuse que nos mains ou nos bras et le sentiment qui va avec. On peut considérer qu’il s’agit « d’hypertrophies » localisées et spécifiques. De la même façon, l’homme a développé une hypertrophie de son système d’émotions, de sentiments. Et c’est çà, l’intelligence. Rien d’autre.
Car ce sont ces sentiments qui nous permettent de nous spécialiser à notre tour, après que notre cerveau l’ait fait par évolution-adaptation. Si je suis très tôt mis en présence de musique, mes sentiments musicaux s’en trouveront développés (évitons le terme « hypertrophié » trop souvent mal compris et péjorant). Je puis ainsi devenir un génie de la musique. Mais si de la même façon mon sentiment, ma capacité d’émotion, se trouvent très tôt mis en présence d’une activité mentale mathématique, mon sentiment se trouvera très tôt formaté à une activité de rationalité et je puis alors devenir un grand mathématicien. J’aurai le « sentiment » des mathématiques. Ce qui paraît un comble : avoir le « sentiment » de la « rationalité ». Deux termes que tout oppose. En apparence.
C’est seulement que notre vocabulaire lui-même témoigne d’une incompréhension de ce qu’est l’intelligence.
L’intelligence est le sentiment des choses. Et ce sentiment peut sentir, pressentir, une cohérence, une rationalité, une pertinence. Si j’ai le sens pratique, si j’ai le sens théorique, ce sont des sens, sentiments.
Mais enfin ce que j’en dis, chacun en croit ce qu’il veut, en fait ce qu’il peut. On ne va pas se fâcher pour si peu de chose : l’intelligence.