Fromages II
Alors, je vous l’avais laissée, mon histoire de fromage, au moment où je conjecturais la perspective très très idiote de faire par hasard du fromage. Et je vous vois bien sûr venir : « Peuh… faire du fromage, c’est à la portée du premier hirundinidé venu (hirundinidé : famille des hirondelles), on ne va pas en faire un fromage, non plus … et lali et lalère… ». Et encore, là, vous êtes poli. En effet, le fromage, c’est inratable : vous mettez de la présure dans le lait, vous laissez cailler, vous prenez une passoire, vous passoirez, et vous avez un fromage. Frais. C’est inratable, je vous dis. Sauf que du fromage frais, vous en mangez un coup avec du sel, un coup avec du sucre, un coup avec de la confiture… et puis vous en avez marre. 4 kg de fromgi frais par jour ! C’est vrai, tout le monde en a vite marre. On en aimerait bien un morceau d’un peu fait, du qui claque, avec un gorgeon de rouquin…
Alors là mes agneaux, je m’en vais vous la rabattre d’un pan, la superbe. Je vous attendais au tournant, figurez-vous. Suivez-moi bien : un fromage affiné, c'est-à-dire non frais, c’est au minimum, et comme son nom l’indique, deux mois d’affinage et de soins intensifs, pour la plupart, certains même un an ou deux ! Je vous expliquerai ce qu’est l’affinage. Donc, si vous fabriquez aujourd’hui votre fromage destiné à l’affinage, vous ne saurez s’il est bon que dans deux mois ! Vous saurez dans deux mois si tout ce que vous avez fait tient la route. C'est-à-dire que pendant deux mois, au moins, vous fabriquez à l’aveugle, un fromage dont vous ne connaîtrez la valeur gustative que deux mois plus tard. Il faut avoir l’espérance chevillée au corps ! Tiens, c’est comme si vous pilotiez un bateau sans sortir du brouillard pendant deux mois, sans radar ni rien. Un vrai casse-gueule. Et si au bout de deux mois, vous avez mal évalué votre méthode, vous vous retrouvez avec 4kg X 60 = 240 kg de fromage dont personne ne voudra approcher le tarin. Et pourtant il est gratuit.
Alors… ? Peuh… il suffit d’aller visiter une fromagerie, ou de se renseigner sur internet pour savoir comment on fait un bon fromage. Les sites ne manquent pas. Le Bleu, le Cantal, le Camembert, les pâtes molles, les pâtes cuites… Ah parce que vous croyez que les gens vont vous donner comme çà leurs secrets de fabrication ? Leurs tours de mains ? Leurs petits trucs maison ? Eh bien vous pouvez toujours compter dessus, tiens !
Bon, vous me faites un peu confiance, maintenant, quand je vous dis que se lancer dans la confection fromagère, de but en blanc et surtout du jour au lendemain car le lait n’attend pas le nombre des années…c’est un truc de ouf ? Surtout à 4 kg par jour ! 4 kg par mois, d’accord, vous avez le temps de tester : au bout de deux mois, vous n’avez jamais que 8 kg de fromage sur les bras, si vous l’avez raté. Mais là, vous n’avez droit ni aux tests, ni à l’erreur. Zorba, accroche-toi.
Et Zorba s’accrocha ! Vous pouvez me croire. Ah…l’usine…
Vous vous doutez bien, lecteur intraitable, que je ne vais pas vous infliger mes fromages pendant huit jours : il faudrait un quasi-bouquin pour tout vous narrer par le menu – mais c’est toujours, en matière de recette, le menu qui compte – et si d’aventure quelqu’un d’entre vous se mettait la folle idée en tête de fabriquer son fromage, je suis bien entendu tout prêt à ne rien vous celer de mes petits secrets. Aucun problème. Des fois que votre voisin vous déchargerait en vrac 5000 litres de lait devant votre porte…
Je vais seulement vous faire livraison de mes astuces les plus insolites. Les plus marrantes, quoi. On est là pour s’amuser.
D’abord les mouches. Si vous avez le malheur de laisser une mouche, mais alors une seule, même la plus petite et insignifiante mouchette de rien du tout, pénétrer dans le local où vous travaillez ou dans lequel vous affinez, terminé… vous pouvez tout jeter. Mais tout. Cà pond partout. Partout à la fois. Même une seule moucheline. Et huit jours plus tard, tout est asticoté. Au point que je me demande même si le seul fait de penser le mot « mouche » ne fait pas naître des asticots ! Je le sais, çà m’est arrivé au début. Une porte mal jointée. J’ai eu un amateur, pour le fromage asticoté. Si si ! Mais pas trois. Moi-même… Beurk …
Alors c’est bien simple. Comme il n’était pas question que je fisse mes fromages dans la cuisine de mon épouse – vous rigolez ! A coups de balai, oui, qu’elle m’aurait fait gicler de là – vite fait je me suis bâti des cloisons dans un coin de la grange, bien hermétiques, plafond, portes et fenêtres comprises car figurez-vous que si les mouches sont proscrites dans une fromagerie, il faut en revanche maintenir une circulation d’air. Ne serait-ce que pour un bon affinage. En trois jours c’était bouclé. Tables de travail comprises et étagères d’affinage itou, enduits alimentaires, tout bien. Avec les moyens du bord. Ah dites ! Je n’allais pas investir des fortunes en inox, au prix où il est, pour des fromages gratuits, et à peine trois mois d’exploitation... Cà fait des milliers d’années que l’homme fait des fromages sans inox, alors… J’avais déjà sur place un bel évier. C’est déjà pas mal non ?
Attendez, attendez ! Cà ne fait que commencer. Et ne vous inquiétez pas : nul ne fut jamais intoxiqué. Au contraire : on se régale de mon fromage depuis bientôt cinq ans. Alors vous voyez. L’un d’eux est même allé jusqu’en Angleterre. Un Anglais fada.