Raffut.
Je me trouvais dans un hôtel, pour les besoins de mon boulot. Il pouvait même arriver que je créchasse quelques jours dans le même. Pour moi, le travail, c'est sacré. Lever 6 heures au plus tard. Et donc à 22 heures, au lit, pour être en forme. Seul le travail rachète l'homme. Quoi, çà vous rappelle quelque chose...? J'en étais sûr ! Alors, parce qu'une phrase belle et véritable est associée par des bandits à une ignominie, elle devient moche et fausse ? Est-ce la phrase qui est moche ? Ou l'homme qui l'utilise à ses propres fins ? Bref, tant pis. Le travail consenti, c'est la seule manière d'échapper à notre condition. On en fera peut-être un jour une texticulation potagère, mais pour l'instant, je suis à l'hôtel, et j'ai besoin de me reposer, de me ressourcer.
Et paf, pas plutôt dans mes draps qu'explose un brouhaha dans le couloir, immédiatement suivi de la radio à fond dans la chambre voisine. Jusqu'à deux plombes du mat. Plus que 4 heures à dormir... Au parler, aux consonnances, aux phonèmes, j'identifie de valeureux bataves.
… J'ai un grave défaut. Si si, je me connais. Je suis d'une grande timidité. Je suis capable de supporter et d'endurer beaucoup sans me plaindre. Et de me tenir coi. Ne pas faire d'esclandre. Le plus inaperçu possible. Bon là, sur les texticules, on ne me voit pas, alors je me lache. Mais sinon, j'évite les teintes fluo. Plus faussement patient que moi, çà ne doit pas exister. Mais voilà, défaut de la cuirasse : au bout d'un temps, à force de serrer les dents, à ne pas me manifester, ma timidité tombe. D'un bloc. Et alors là... Pas d'avertissement. Tout tombe avec. Mes inhibitions, mes bienveillantes attentions, mes sentiments compréhensifs... Tout peut tomber, quoi. La bête écumante.
C'est mon chargé de commerce, un garçon naturellement psychologue qui n'a jamais étudié la psychologie, qui me le fit remarquer. « Tu supportes, tu supportes... mais quand l'autocuiseur pète, tu deviens un tyran instantané. Les gens ne comprennent plus... Tu ne passes jamais par la case « négociation ».
Hé hé, c'est bien pourquoi j'ai besoin d'un chargé de commerce...!
Il avait raison, mon commercial. Et pour qu'il s'en aperçût, ce devait être flagrant. Je résolus donc de me corriger, de m'amender. Et de toujours passer par la case « négociation » quoi qu'il m'en coûte. Un truc de marchand de tapis. Mais en effet, çà va mieux. Sauf qu'à ce moment-là, à l'hôtel, ce soir-là, je n'avais pas encore entrepris de me réformer.
Alors je supportai....
Le lendemain je n'y pensais plus. L'hôtel étant un lieu de passage par excellence, il me paraissait implicite que le soir suivant, mes bataves seraient à l'autre bout de la France. Ou même chez eux. Qu'ils y restent. Ils pourraient toujours y faire gueuler leur radio, si c'était dans leurs moeurs...
Hélas. Le soir même, remettez-nous çà. A dix heures, un tintouin de tous les diables. Jusqu'à deux plombes du mat. Enfin je suppose car heureusement, la fatigue aidant, et le manque de sommeil, je plongeai dans l'inconscience. Bienheureuse jeunesse, qui dormirait sur des galets...
Je m'étais bien fourvoyé ! Ils avaient bien pris racine dans la carrée d'à côté, mes fiers bataves. N'empêche que je commençais à en avoir ras les pelotes, de ces fiers bâtards.
Comme je vous l'ai dit, je supporte... je supporte... sans rien dire. Si bien que pour la troisième nuit consécutive... hé si ! C'était chez eux un mode de vie ! A 22 heures pétantes, je ne sais d'où ils rentraient, mais ils lançaient la foiridon hollandaise, jusqu'à deux heures du mat. Et çà se marrait...! Et çà s'envoyait des vannes en hollandais...! Ah ah, que çà les faisait marrer. Moi, çà me paraissait aussi con en batavique qu'en français. Et je sentais que si la cocotte-minute venait à péter, c'est les urgences, qu'ils faudrait appeler.
Le lendemain, j'achetai un radio-réveil à cassettes, et une cassette de musiques militaires. Et puis tiens, pour complémenter le tout, une corne de stade à air comprimé.
A six heures pétantes, ils n'étaient couchés que depuis 4 heures sans doute, en tous cas je savais qu'ils étaient là, j'enclenchai la sonnerie aux drapeaux. Ta tari tarèteuu... ! A fond. Mais à fond. Oum...Doï... Oum... Doï... Ils ont traversé le Rhin... (Oum Doï... )Aveeec Monsieur de Tureeeenne... (Ach'val...) Sonneeeez fifres et tambouriiins... Ils ont traversé le Rhin... (Sur les rôôô-ôô-ses). Si si, je chantais moi aussi sur la musique. Y a pas de raison. En se rasant. Cà donne du coeur à l'ouvrage. Cà dégage bien les bronches et dissout les brumes matinales. « La marche consulaire »... « Sambre et Meuse »... « Tiens voilà du boudin »... « Soldat lève-toi »... « Tragala soupe, tragala soupe, tragala soupe du soldat »... « La madelon »... Et quand je fus fin prêt, je remis la cassette au début, encore plus à fond du fond possible, donnai à leur serrure deux trois coups de sirène à pompe bien appuyés, Piiiinf ! ah la vache, même moi, bien réveillé, çà me vrillait la dure-mère, descendis à la réception, réglai ma note et quittai l'hôtel. Après la cassette, c'est la radio qui prendrait le relais.
J'ai encore la sirène à corne.
Méfiez-vous des timides : ils vous le rendent au centuple.