Ami

Publié le par zorba

 

 



Je viens de me faire un nouvel ami. Il ne le sait pas encore, bien sûr. Il s'appelle Barack. Barack Obama. Jusque là, j'étais circonspect. Tout ce battage médiatique, ce délire obamaniaque... Moi j'évalue les gens à leurs oeuvres, pas à leur tête. Ou tout au moins à ce qu'ils disent. Lorsqu'ils ne se croient pas écoutés, notamment. Barack est toujours écouté. Il ne peut rien dire qui ne soit repris en boucle, jusqu'à la nausée, surtout quand çà n'a aucun intérêt. Mais quand ce qu'il dit est intéressant, alors là, çà n'intéresse plus personne.

Et justement, il a dit quelque chose d'intéressant. Qui n'intéresse personne. Sauf moi. Il a dit une chose que je désespérais d'entendre dire sur terre un jour. Même vous, je suis sûr que vous n'avez jamais entendu çà.

Il a dit, en visitant Cape Coast au Ghana, haut-lieu symbolique de la traite des noirs : « D'un côté, l'endroit inspire une profonde tristesse. De l'autre, c'est ici qu'a commencé l'essentiel de l'histoire des Afro-Américains ».

Il a dit çà en Anglais, mais c'est pareil.

C'est vrai, j'avais définitivement renoncé à entendre ce genre de réflexion.

Avec un type qui pense çà, on sent qu'on peut discuter. C'est un garçon sensible à la nuance. Qui connaît le verre à moitié plein ou à moitié vide. Il sait même vous dire ce qu'il y a de bon dans le mauvais et de mauvais dans le bon. Les avantages et les inconvénients quoi. De même que le meilleur médicament a des effets secondaires néfastes, la pire des catastrophes crée des vies nouvelles.

Entre les descendants d'esclaves qui font complainte et profession d'être descendants d'esclaves pour les mille ans qui viennent sans pouvoir envisager autre chose, et les accusateurs publics qui se sont pris pour Saint-Just et vous accusent, vous, d'être un descendant d'esclavagiste comme si eux-mêmes n'étaient pas descendants d'esclavagistes, il ne reste aucun espace pour l'avenir, ni des Afro-Américains, ni des Africains eux-mêmes encloîtrés dans leur image. Pour les siècles des siècles, il y a les esclaves, les esclavagistes, et puis c'est tout. Amen et grand bien vous fasse.

Mon nouveau pote Barack envisage les choses autrement. Pour lui, Cape Coast est une douleur, mais une douleur d'enfantement. Par cette douleur, il y a des noirs en Amérique. Sinon il n'y en aurait pas. Ou si peu. Heureusement que c'est Barack qui le dit, sinon...

Bon, je ne me fais aucune illusion sur l'espèce humaine, pas plus sur ce qu'elle a fait que sur ce qu'elle fera. Mais que voulez-vous, avec un type qui parle comme Barack, tourné vers l'avenir et non pas le passé le plus sombre, on sent que les portes ne sont pas verrouillées en dépit de l'acharnement de ceux qui se sont constitué un fonds de commerce de la haine interethnique. Moi, çà m'intéresse. Sinon le reste ne m'intéresse pas, je connais. La complainte de l'homme noir (qui ne peut être réduit à sa musique mais quand même, çà compte), l'ennui de l'homme blanc, l'humiliation éternelle de l'homme musulman, la compétition victimaire, c'est moi qui ai le plus souffert, je finis par m'en branler, des malheureux heureux de l'être et revendicatifs. Revindicatifs.

Ceux qui m'en ont fait baver, je les ai oubliés. Complètement. Ils sont sûrement allés mourir plus loin, à l'heure qu'il est. Barack lui, et sa manière d'équilibrer les malheurs sans trop s'en laisser conter par les uns les autres, me plaisent. Je ne dis pas non plus qu'il ne commettra pas d'erreur, qu'il ne pètera pas un câble éventuellement si on lui chauffe de trop les pelotes, mais sa façon de peser la douleur et dire les choses, sans trop fayoter du côté des uns des autres, de ceux qui ont toujours à se faire plaindre comme des enfants jaloux, me laisse augurer cette forme de fermeté tranquille dont les mouflets ont besoin. C'est vrai çà, sous prétexte qu'il se trouvait à Cape Coast au Ghana, il aurait pu comme tous les assoiffés de popularité entonner le refrain de l'éternel réprouvé, se faire applaudir à tout rompre en promettant la revanche. Il a simplement dit ce que j'ai toujours pensé in petto mais avec interdiction de l'exprimer sous la menace d'une police de la pensée d'autant plus vigilante qu'elle est illégitime.

Barack, je sens qu'on va s'entendre tous les deux, et qu'on va passer une bonne gouvernance. Ta façon d'être américain sans être trop cul béni, trop noir, trop blanc, sans être trop musulman, bon, tu m'as compris.

Et je suis sûr qu'il est capable, Barack, de dire bien d'autres choses, sur bien des sujets dont on nous gave au jus de moraline. Attendez, et écoutez-le, surtout quand personne ne fait attention. Pour ceux qui, comme moi, ont le gonflomètre sous haute pression, on risque de passer quelques moments d'intense jubilation silencieuse.

Publié dans humour littérature

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C
En parlant de ramer à contre courant, j'ai trouvé une vidéo que je trouve passionnante ! et qui voit le futur avec un regard qui m'interpelle particulièrement :http://capharnaumorganise.over-blog.com/article-34326167.html
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Z
<br /> En tous cas, on peut dire que c'est énorme !<br /> Je ne suis pas physicien et je ne me hasarderais pas à discuter par exemple cette conception du temps stroboscopique, qui agite beaucoup les épistémologues.<br /> Le raisonnement est en soi intéresant à suivre. Pour ce qui me concerne, il comporte trop de données pour que je puisse les vérifier (ou les réfuter) toutes...et me déterminer. Je reste donc<br /> indéterminé. Et ouvert...<br /> <br /> <br />
R
Pareil ;l'impression d'être  enfin moins seule  à ramer à contre courant ...mais que ça fait plaisir !
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Z
<br /> <br /> J'ai la désagréable impression qu'il faut ramer à contre-courant pour trouver de l'intelligence quelque part...<br /> <br /> <br /> <br />
L
Comme d'habitude, le ton juste et le sujet grave traité sur une tonalité légère qui fait réfléchir. Un plaisir de te lire.
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Z
<br /> Plaisir d'être lu par une intelligence aussi...<br /> <br /> <br />
R
Que j'étais bien à lire ce texte, comme je suis d'accord...Mais il est dérangeant, il dit des choses si justes... c'est sans doute pour ça, que certains vont lui chercher des poux dans la carte d'identité pour essayer de prouver envers et contre tout ce qui l'atteste, qu'il n'est pas américain et n'a donc aucune légitimité à être président des USA Merci pour ce texte.Amitiés du mardi 
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Z
<br /> <br /> Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage. C'est toujours la même musqiue.<br /> <br /> <br /> <br />