Jean-Louis
Mon grand-père attela sa jument à la carriole. Nous allions rendre visite à un petit garçon, Jean-Louis, qui avait ramassé quelque chose, qui avait explosé, lui arrachant la main. Je l'appelais Jean-Lui. C'est normal, je savais pas encore lire les lettres des noms. Alors je ne les disais pas toutes.
Mon grand-père racontait des histoires, et il avait toujours raison. Mais cette fois-là, c'était une histoire à laquelle je ne croyais pas. Un petit garçon avec une main arrachée, çà n'existe pas. D'abord, quand on arrache une main, on meurt. Je n'avais jamais entendu une histoire pareille, à dormir debout. Sans doute mon grand-père cherchait-il une excuse pour atteler la jument et aller se promener. Et moi, je n'allais pas dire non. Aller me promener dans la carriole avec mon grand-père, je ne demandais pas mieux, sans avoir besoin d'aller inventer des trucs à dormir debout. D'abord Jean-Lui, c'était un copain, et chaque fois qu'on se voyait, on jouait à se gagner des pignols d'abricot ou on s'échangeait des capsules de bouteilles. On en avait plein, des capsules, et il y en a même qui en faisaient des rideaux. Ah ah, un rideau en capsules de bouteilles pliées, quand on les prenait dans la figure, çà faisait mal. On pouvait même saigner. Et pour faire un rideau en capsules de bouteilles, il fallait au moins balayer un café tous les jours. Et moi je n'en avais pas assez pour faire un rideau. D'abord, je ne voulais pas en faire un rideau parce qu'il fallait les tordre autour d'une ficelle et moi, je voulais les garder neuves, les capsules, bien brillantes. Et aussi on jouait aux billes agates avec Jean-Lui. On les tirait avec le pouce. C'était une blague çà, le coup de la main à Jean-Lui. Mon grand-père me disait çà pour que je ne touche pas aux choses qu'on trouve. Mais je n'y touchais pas, aux choses qu'on trouve. Je demandais toujours la permission. D'abord, çà risque rien, de toucher aux choses qu'on trouve. Pourquoi çà risquerait. Mais j'y touchais pas parce qu'on me disait de pas y toucher, c'est tout. Pas la peine d'inventer des histoires à dormir debout. Cà va, on le sait. D'abord j'avais pris mes pignols d'abricot, pour jouer avec Jean-Lui. Mais non, laisse tes pignols. Mais si, je veux jouer aux pignols avec Jean-Lui. Tu parles, Jean-Lui il avait ses deux mains, pour jouer aux pignols. Comme moi. Et même avec une main, on pouvait jouer aux pignols. Tiens, regarde. Je faisais semblant de croire que Jean-Lui n'avait qu'une main. Si çà pouvait lui faire plaisir, à mon grand-père. Et d'abord, comment il le savait, que Jean-Lui n'avait qu'une main. On l'avait pas vu depuis la dernière fois, alors... C'était loin, chez Jean-Lui. J'avais plus très envie d'y aller. Mais je ne disais rien. Il aurait cru que j'y croyais, à son histoire de main, mon grand-père. Pourquoi il aurait pas eu de main, Jean-Lui. Je voulais voir ses nouvelles capsules de bouteilles, que lui ramenait son père. Mais on aurait pu y aller un autre jour chez Jean-Lui. Je voulais voir s'il avait de nouvelles billes agates, aussi. C'est qu'il était bien adroit Jean-Lui. Normal, il avait un an de plus que moi. Il m'en gagnait souvent des billes agates. Moi pas souvent. Enfin pas assez souvent. Surtout une, que j'aurais bien voulu lui gagner mais celle-là, il ne la jouait pas. Elle était verte avec des traces jaunes. Et toute neuve. Il devait l'avoir encore. Il ne voudrait jamais la perdre, celle-là. Il ne la jouait jamais. Mais on aurait pu y aller un autre jour. Surtout que je n'avais même pas pris mes billes. Rien que mes pignols d'abricot. Je n'avais pas pris mes billes pour ne pas me les faire gagner. J'allais juste chez lui pour voir les siennes, c'est tout. Pas pour les jouer. J'avais envie de retourner à la maison. Dis Pépère, on les verra un autre jour, les billes agates de Jean-Lui. Oui, on les verra un autre jour. Aujourd'hui, on va voir Jean-Lui, c'est tout. Non je veux pas voir Jean-Lui. Tu veux pas voir Jean-Lui ? Non, pas aujourd'hui. On va pas rester longtemps. Oui, mais j'ai pas envie. Allez hue, regarde, si elle est contente de trotter. A cheval sur mon bidet, quand il trotte il fait des pets.