Jardin
D'où me vient la vocation de jardinier ? Excellente question. Que personne ne m'a jamais posée, alors je me la sers moi-même. Car on avouera franchement, une vocation potagère, çà sort de nulle part. Peut-être du souci primitif du chasseur-cueilleur de Mésopotamie ? Ou d'ailleurs... Bon, mais laissons les questions existentielles qui nous taraudent et essayons de voir de plus près. (De temps en temps, je m'offre une petite séance gratuite d'introspection mais comme toutes les bonnes choses, il ne faut pas en abuser sinon on reste le nez collé sur son nombril et la position est assez malencontreuse pour qui manque de souplesse, ce qui est mon cas).
Eh bien, je vais vous dévoiler le grand secret dont tout le monde, et à raison, se fout comme de sa première sucette : elle me vient de mon grand-père.
Cela ne peut venir que de lui car il est à peu près le seul jardinier que j'aie jamais connu. Et aimé, bien sûr. Et quel jardinier ! Un jardinier parfaitement stupide à ses débuts. Il venait d'un pays où pas grand chose ne pousse, faute d'eau, ainsi que je l'ai narré dans l'article "Imagine". Se retrouvant, à la retraite, en France, avec un grand jardin regagné par la friche, il dut tout essarter, et essayer de planter quelque chose. Et c'est l'aide providentielle de son voisin de jardin, que sa mémoire soit ici évoquée, Monsieur Masbou, qui lui donna des rudiments et lui mit le pied à l'étrier : mon grand-père planta son premier arbre, à racines nues, c'est à dire sans feuillage ni motte, à l'envers. Les branches soigneusement enterrées, et les racines en l'air ! Et l'arbre prit ! En bouture !
Mais il apprit très vite. Et bientôt toute la famille put se nourrir des produits de son jardin. Mais quelles suées il attrapa ! Aujourd'hui encore j'en suis traversé de remords. Pendant les grandes vacances, au lieu de l'aider, je m'échappais pour aller jouer. Le jardin ? Moi ? Pouah quelle horreur ! Ah si, tout de même, mon boulot, pendant les grandes vacances ? Tirer 600 litres d'eau d'un puits de 32 mètres (je l'ai mesuré !). Un jeu d'enfant, mais qui finit par vous faire une musculature de Tarzan ! Après mes deux petites heures matutinales de tirage de seaux, fini, basta, démerde-toi mon vieux pépé, à monter les sacs de patates sur ton dos, sur 30 mètres de dénivelée... Mais quel con j'ai pu être ! Mais quel petit con ! C'est ce que je regrette le plus dans ma vie. Parfois, j'en chialerais tiens !
C'est pour çà. Que j'évite l'introspection vous comprenez ? Parce que çà, c'est irréparable. Bon bref. J'ai une passion pour le jardin, et elle me vient de là, on ne m'ôtera pas cela de l'idée. Je vais même vous dire : lorsque je quitte le jardin, les reins brisés, je suis heureux. Je ressens la même douleur que celle que pouvait ressentir mon grand-père. Je suis lui, quoi. Et encore moi j'ai de la chance. Lorsque je suis fatigué, je m'en viens texticuler un peu, une petite heure, devant mon écran. Cà repose. Lui, il n'avait même pas çà. Il avait appris à lire dans la Bible, vous pensez, on apprend juste à déchiffrer. Alors, il n'avait aucune bonne raison de quitter le jardin. Voilà pourquoi je le voyais toujours en sueur. C'est ce qui l'a tué, sans doute.
...Donc, mon jardin et moi !
Ah c'est quelque chose, mon jardin ! D'abord, on n'y connaît rien. On plante un truc, juste pour dire. Et puis on se pique au jeu. Et on finit par apprendre très vite. Et puis on parvient un jour à avoir fait pousser une vraie merveille, devant sa porte. D'ailleurs chaque année, ma femme me complète l'album photo du jardin : le jardin en hiver sous la neige, le jardin en hiver sous le givre, le jardin au printemps et ses tulipes, violettes, muguet, anémones bref, je ne vais pas vous faire un catalogue. Le jardin en plein été, ouaaahhh... Bon l'automne, elle laisse un peu tomber... Je n'ai pas d'érables...pas encore... Pour les légumes n'en parlons pas ! Je fournis en maraîchage gratuit tout le voisinage plus la famille élargie ! Alors là, jouissance, lorsque vous déboulez chez quelqu'un avec un panier d'osier débordant de couleurs, rouge tomate, vert concombre, violet aubergine, jaune haricots verts, plus les fruits du verger, ah j'en peux plus d'orgueil tiens ! Oui oui, c'est moi, Zorba, qui ai fait pousser tout çà. Et bio, hein! Bon, juste un peu de cuivre, sinon on ne récolte rien, mais le cuivre vous savez, on y fait les confitures dedans alors... Si çà devait nous tuer hein ! Regardez-moi, je suis tout neuf. Et d'exhiber mes résultats d'analyses, mes radios, mes IRM...
Sans le savoir, mon grand-père a semé en moi une graine de jardinier. Merci Don José. Merci Tio Pepe. Jamais je ne te revaudrai çà
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