Le puits - Suite III

Publié le par zorba



Au moment de rattaquer, je réalise que si je continue de détailler le puits, on va se retrouver avec un bouquin entier. Et ce n'est pas le but. Donc, nous allons opérer une plongée de 3 mètres en passant du niveau -2 mètres, au niveau -5 mètres, que je résumerai par ceci : j'ai extrait de ces 3 mètres d'épaisseur, en vrac mais bien compactés, la charpente du puits (il était donc couvert), mais pas les tuiles entières (elles ont dû être récupérées et si çà se trouve, elles sont encore sur la toiture de la grange), la margelle du puits, avec des moellons de pierre deux fois plus lourds que moi, le corps de pompe en fonte, qui faisait bien lui aussi ses 80 kilos bon poids, tout çà au bout de la corde ho hisse. Le tout enchevêtré bien sûr avec de la terre et des pierres de tout venant. Et on se retrouve devant – ou plutôt sur – un gros bouchon constitué d'une clôture en fil de fer barbelé qui enserre toute sorte de gravats, terre, cailloux, des tessons de bouteille à croire que l'un des proprios qui m'ont précédé tenait bistrot, et un bon paquet d'objets poubelloïdaux.
Mais il faut tout de même que je raconte comment je m'y suis pris pour être à la fois au fond, et en haut, car c'est la question que l'on me pose le plus souvent. Alors, je ne vais pas vous laisser supputer davantage : c'est très simple, regardez bien . D'abord, je me suis fabriqué une échelle de corde. Une longue corde (neuve, pas une rognure de cordasse à moitié pourrie puisque j'allais remettre ma vie entre ses brins), repliée sur elle même, à laquelle j'insérai en guise d'échelons des fers à béton tous les 40 cm d'espacement, deux extrémités de la corde étant nouées au tronc d'un chêne maousse, non loin de là (dont du reste j'eus à couper des racines qui s'insinuaient à l'intérieur du puits) le reste de l'échelle pendant librement dans le trou. Il me suffisait donc d'ajouter des échelons à mesure de ma progression. Mais sous mon poids, les noeuds se resserrant et la corde s'étirant, je me suis très vite retrouvé avec des barreaux espacés de 70 cm, ce qui transforma bientôt mes ascensions en exercices d'escalade. Tant pis pour ma frite, je n'avais qu'à prévoir.
Pour l'extraction des matériaux, c'est très simple aussi : je descendis des grappes de cinq seaux au bout d'un crochet. Puis je me descendis moi-même bien sûr. Comme les cinq seaux occupaient tout le fond du puits et que je n'aurais donc su où mettre mes pieds, et encore moins travailler, je fixais à mesure du déblaiement des chevillettes à la paroi du puits, auxquelles je suspendais l'anse de mes seaux pleins.. Il me suffisait ensuite de me remonter moi-même, de choper l'anse de chaque seau avec un crochet au bout d'une corde - exercice de visée – et de hisser haut, comme dans la chanson, sauf que j'économisais mon souffle. Tout çà par quarante degrés à l'ombre, soi dit en passant.
Compris ? A chacune de mes remontées, je hissais donc un volume de 50 l de matériaux, soit l'équivalent d'une brouette à deux roues, pleine. La brouette, pleine. Les roues, gonflables. Toujours. Si vous avez une brouette à roues pleines, débarrassez-vous en...ah mais çà y est, je l'ai déjà dit.
Maintenant que vous avez mordu le topo, que vous avez une claire conscience de ma façon de procéder, il ne vous reste qu'à me suivre, monter, descendre, monter, descendre... Et là, tout d'un coup, le vrai, l'immonde, l'horrible cauchemar : un bouchon d'un mètre d'épaisseur constitué d'un amas de fil de fer barbelé, une vieille clôture d'au moins cent mètres jetée là-dedans, et qui enserre entre ses piquants redoutables un non moins redoutable amas de tessons de bouteilles, pris dans la terre et les caillasses, toujours et encore...vous pouvez imaginer l'embrouille.
Si tu as encore des larmes, ô lecteur, garde-les pour plus tard. Car ce sera bien pire. Mais qu'est-ce qui m'a pris bonté divine de seulement regarder cette petite dépression de rien du tout à la surface du sol au lieu de rester bien tranquille dans mon rocking-chair, sous la tonnelle, à siroter mon anisette fraîche et à lire mon canard ou même tiens, à tricoter c'est pas plus con hein. Disons que ce bouchon devait peser à l'estime plus d'une tonne. Pas question donc, de l'arracher avec mes petits bras et ma cordelette. Hisse et ho mon cul. Même à quatre.
Trois jours... Trois putains de jours entiers, en bas, que j'ai trimé, à le décortiquer à la cisaille à fer et à la petite cuillère, cet enfoiré de sa race maudite de bouchon ! Et tout çà, bien trié à la sortie : le fil de fer barbelé avec le fil de fer barbelé, les tessons de bouteilles avec les tessons de bouteilles, les pierres avec les pierres, la terre avec la terre, heu...l'échelle avec l'échelle, les seaux avec les seaux, moi avec moi... Bref, tout propre quoi.
Ah le soulagement, parvenu au bout du bouchon barbelé, entessonné, compacté ! Il ne manquait plus qu'une bombe de la dernière guerre tiens. Et justement...!!! Non, je déconne. Pas de bombe. Pire qu'une bombe. Mais celle-là, je vous la réserve pour le dernier épisode. Enfin j'espère que tout y contiendra car nous n'en sommes qu'à 6 mètres, et je n'ai encore pas vu la couleur de l'eau. Il faudra bien que je montre aussi la description du puits fini, et la stratigraphie des couches de terrain traversées, le régime hydraulique du puits, enfin tous les trucs intéressants pour quoi au fond je me suis lancé dans cette mission  historique d'archéologie potagère.
Que l'on se rassure quand même, je n'ai pas essuyé une seule égratignure. Vu les conditions d'hygiène qui régnaient là-dessous dites... Que j'aurais pu choper la cuscute tétanique et le staphylocoque des profondeurs. Oh mais, on en verra d'autres allez. Vous voyez, c'était pas la peine de pleurer !

Publié dans humour littérature

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C
Il faut imaginer Sisyphe heureux , disait Camus ....
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Z
<br /> J'imagine, j'imagine... C'est bien ce qui me fait tenir... Parce que même une bête...<br /> <br /> <br />
M
J'en connais qui se sont servi de ce puit comme dépotoir... l'horreur... et tu annonces pire pour la suite ? J'ai un peu peur, là...
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Z
<br /> <br /> Hé hé....Le pire n'est pas toujours certain.... Mais là oui.<br /> <br /> <br /> <br />
C
Mais personne ne pleure ici, à mon avis c'est même le contraire. J'imagine bien les barbelés avec les tessons de bouteilles et les pierres mélangés à la terre.
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Z
<br /> Oui Claire, tu imagines très bien, mais j'ai un lot de consolation : dehors il fait quarante à l'ombre, et dans le puits il fait un peu moins chaud...<br /> <br /> <br />
L
Passionnant! Quel suspens!
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Z
<br /> <br /> Comment Lola, tu n'es pas encore au lit asteur ?<br /> <br /> <br /> <br />