Tempête.

Publié le par zorba



Je n'ai plus de tonnelle. J'en avais une, je n'en ai plus. On dirait que deux mains géantes se sont abattues sur elle, et l'ont essorée avec rage, comme une serpillière. Armatures tordues, chèvrefeuille, vigne vierge et toutes les grimpantes écrasées, emberlificotées, passées au mixeur. Cà tombe bien, c'est une excellente occasion pour la rajeunir.
Autrement, pas de dégâts. Je suis sorti, prudemment, avec des yeux partout, cramponné à tout ce qui tient. Pas d'électricité ni téléphone bien sûr, les portables ne passent pas, seulement un transistor exhumé d'une armoire, avec piles miraculeusement en état pour se tenir informé du reste du monde.
Alors bien sûr, une pensée pour ceux dont la toiture a pris congé. Et justement, le transistor m'en donne, des nouvelles ! Sud-Radio, que çà s'appelle .
D'abord, les services de l'état et départementaux sont déjà à pied d'oeuvre depuis longtemps. Un employé de l'ERDF appelle pour signaler que hé, ho, faut arrêter de mélanger, ils ne sont pas EDF faudrait quand même pas confondre, eux, ERDF, ils sont là, sur le tas. Bon bon, vous énervez pas. Dont acte. Je fais suivre l'info. Cà rigole pas, tout le monde est au boulot. On était prévenus, pour la tempête, mais quand même, je salue. Réactivité ad hoc. Les solidarités jouent à plein.
Je passe sur la vitesse des vents qui se livrent une concurrence rageuse. Ici, 120 km/h, là record battu avec 182 km/h sur Biscarosse, vous saurez tout çà par vos journaux de demain. Probablement avant moi parce que l'électricité, il va falloir que je patiente, il y a un peu partout des nécessités plus vitales.
Ah, du nouveau ! Les matchs sont reportés. C'est avec une angoisse non exempte d'épouvante que nous attendions des nouvelles de nos sportifs livrés à la fureur des éléments ! En même temps, c'est bien dommage, on se prive de titres mirobolants pour le lendemain. Première mi-temps : le gardien de buts du racing-club de La Pistoule dégage dans le sens du vent. Le ballon est récupéré au centre ville, sur le lampadaire décoratif. En voulant faire la courte échelle pour le choper, l'entraîneur est transformé en drapeau, il claque du bec au vent. Seconde mi-temps : le même gardien de buts botte contre le vent, pam, il se marque un but. Le match dégénère lorsque sur un dégagement, le ballon pris dans un tourbillon, fait quatre fois le tour du terrain et revient se loger dans les bras d'où il est parti. L'arbitre siffle sans arrêt, ou alors c'est le vent dans son sifflet, de sorte que le public s'énerve et finit par se déchaîner, l'arbitre aux chiottes. Les objets volent, ces cons-là vont finir à poil.
Les nouvelles se précipitent. Des vieux d'une maison de retraite veulent à toute force aller au cimetière pour voir si tout est cassé. On les comprend. Ce n'est pas parce qu'on est mort qu'on doit accepter le bordel. Mais le directeur tient bon : interdiction de sortir non mais sans blague.
Sa mère s'envole, il la récupère à 500 mètres : c'est une fière mongole.
Ma fille ouvre une fenêtre, sans doute un geste désespéré de claustrophobe. Tous les rideaux se mettent à l'horizontale, elle a failli être aspirée aussi tandis que les cinq cents diables se déchaînent dans la maison. Je referme en vitesse, tant pis pour les rideaux restés dehors.
Les cheminots ne font pas grève, mais les trains ne roulent pas. Les avions ne décollent pas non plus, les cheminots n'y sont pour rien.
Un type part de chez lui en voiture, au bout de 20 km il est obligé de faire demi-tour : il n'était pas averti de l'état de vigilance rouge. Il faudrait le prévenir qu'il est également sourd et aveugle.
Une femme appelle : elle voit sa toiture en train de partir par morceaux. Cà doit être flippant en effet. C'est sûr que ce qui reste de toiture est désormais très provisoire.
Ah, enfin, un type qui a quelque chose de sérieux à nous dire. Il est du Lot. D'abord, il veut nous faire entendre les rugissements de la tempête à son téléphone portable. Désolé, les rugissements de la mienne, tempête, couvrent ceux de la sienne. Il continue en jetant l'opprobre doublé de sa malédiction sur ceux « qui ont le cul au chaud », sur les services de l'Etat (ces mêmes services qui j'en témoigne font face en ce moment précis à toutes les détresses) et finit par s'en prendre à Sarkozy. Ha, çà manquait çà.  J'étais sûr que Sarko était là-dessous... Le reporter de Sud-Radio essaie poliment de l'informer que là, tout de suite, le problème, c'est la tempête qui reprend du poil de la bête, l'autre en convient – il est toujours du Lot – mais retourne à son petit vélo, c'est la faute à Sarko. Je me demande bien pourquoi le reporter de Sud-Radio ne raccroche pas. Il est poli, ce garçon. Ce serait moi tiens... et comment ! Il n'a qu'à l'inviter à descendre dans la rue faire une manif anti-Sarko accroché à sa pancarte, ce lotois de course. On va voir si c'est la faute à Sarko.
Certains téléphonent à Sud-Radio pour faire savoir qu'ils existent. Donc ils ont le téléphone. Donc c'est pire ailleurs.
Je vois, par ma fenêtre, au ras du sol, passer une perdrix : elle plonge tête première dans la touffe de bruyère la plus proche et s'y tient tanquée.
Sur le soir, Madame Alliot-Marie intervient sur les ondes. De suite, c'est un autre niveau de discours, on sent que la civilisation reprend ses droits : « ...deux gueu yeu véhicules...les pompiers gueu yeu sont intervenus gueu yeu... »  C'est bon. Le temps qu'elle ait tout déballé, les pompiers ont déjà sorti le type de l'eau.
Veuillez excuser, chers auditeurs, cette interview un peu hachée (mais moins que ma tonnelle), avant de sombrer, je vous invite à chanter tous en choeur : Plus près de toi mon Dieu...

Publié dans humour littérature

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L
Mais c'est sympa comme tout bien ecrit et pas bete ce blog je vais m'abonner un temps tien ^^
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Z
<br /> Je n'ai pas encore achevé la lecture de Gilles de Rais... Passionnant bien sûr... J'y reviendrai.<br /> <br /> <br />
Z
<br /> Bienvenue donc, L'Hermelise...<br /> En plus, l'avantage, c'est que tu as pas loin d'une centaine de texticules...pour les longues soirées d'hiver... Bon courage !<br /> <br /> <br />
C
Comment, comment, mais je ne savais pas que les matchs avaient été reportés !! incroyable ça. Faut dire aussi que je n'écoute quasi jamais la radio, ça m'apprendra... à louper des informations aussi essentielles que celles-là. Bon retour parmi nous.
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Z
<br /> Eh oui Claire, c'est même une des toutes premières informations que nous ayons reçu, j'en fus tout ému...<br /> Voilà c'est fait, les affaires reprennent...<br /> <br /> <br />
C
Pliée en quatre par ton imitation de MAM ....et au moins tout autant par la narration de tes misères  climatiques ...Contente que tu ne te soies pas fait estourbir par quelque objet volant sans domicile fixe !
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Z
<br /> <br /> Bonjour Christine, fidèle au rendez-vous... Au fait, le puits n'a pas bougé d'un centimètre. Etonnant, non ?<br /> <br /> <br /> <br />
O
Hé bé, c'était le grand chambardement chez toi ! bon tu sembles sain et sauf, pour le plus grand bonheur de tes texticulateurs (ses). Dans un lointain passé, j'entendais dire, grands-parents, parents, vieux cousins compris, lorsqu'un bouleversement climatique se pointait "c'est la faute à la bombe !!!" . Tu vois, leur faut toujours un bouc-émissaire. N'empêche, t'approches pas trop de dieu, d'accord ? manquerait plus que tu te brûles les ailes !Bon retour à la normale et bonne journée.Osiri
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Z
<br /> Merci Ô divin siris pour ta constance. Et heureux de vous retrouver tous. Ici, on essaie de venir en aide à qui est dans la détresse et on se dispute même les naufragés qui recherchent surtout une<br /> douche chaude et un repas chaud. Mais tout rentre dans l'ordre peu à peu, on n'y pensera bientôt plus.<br /> <br /> <br />