Défonce
Il n'y aura pas de texticule aujourd'hui. Parce que je suis un peu fatigué. C'est à dire que je ne puis faire paraître sans indécence et sans me moquer de mon lecteur une prose bâclée et même pas relue. Et quelle est la raison de ma grande fatigue ? J'ai défoncé la banche. Comme on dit du côté de La Rochelle.
J'ai défoncé une nouvelle parcelle de jardin chez belle-maman. Pourquoi une nouvelle parcelle ? Parce que je me rends compte que j'ai produit trop de plants, à partir de trop de graines, que je ne vais pas trouver à donner. Voilà pourquoi. Et comme çà me fend le coeur de laisser dépérir des plants tout mignons, alors je défonce un nouveau jardin. Mais pourquoi chez belle-maman...?
Parce que la terre y est meilleure que chez moi. Et plus facile à défoncer. C'est le moins que l'on puisse dire.
Chez moi, le sol est argileux. Et je défie quiconque de retourner un sol argileux sitôt après la pluie. La terre, chez moi, est comme une femme un peu rétive : il faut la prendre au bon moment.
La comparaison s'arrête là. Cà va, hé ho, je n'ai rien dit de plus. Le reste ne concerne plus le caractère féminin.
En effet, dans une terre argileuse de chez argileuse, de celle dont on fait les tuiles, si vous plantez une bêche après la pluie, vous embourbez tout, la bêche, le manche, les bottes jusqu'aux yeux. Ah c'est quelque chose ! D'habitude, lorsque je planifie, je travaille au bon moment, lorsque le sol s'est bien ressuyé, ce qui peut demander plusieurs jours d'attente. Surtout si la pluie persiste. Et encore opéré-je, les pieds sur une planche, afin de répartir mon poids car sinon, mes empreintes tassent le sol. C'est bien simple : la terre, il ne faut la toucher qu'une fois sinon...quoi les femmes...? J'ai rien dit non...? Sinon, plus vous vous acharnez plus çà devient Trafalgar et Waterloo réunis. Vous tassez, vous collez, vous re-tassez pour décoller... oh oh chantier... Je parle du jardin. Ce n'est pas une terre pour maraîcher. Mais rendons-lui cette justice : une terre argileuse a la capacité de bien retenir l'humidité, lorsqu'il fait sec.
Tandis que la terre de belle-maman... Alors çà, c'est un vrai régal. On en mangerait presque. Presque. Après qu'elle ait été défoncée. Mais non, pas belle-maman voyons, vous voulez me faire avoir des ennuis ? Car il faut d'abord dépierrer, ôter les racines. Mais ensuite, c'est la fête, une vraie fête, de la travailler. C'est une terre noire, humifère, du terreau pur quoi, posée sur un socle calcaire. Très fertile, elle sèche en revanche aussi très vite. Il faut arroser tous les jours en plein été. Et figurez-vous quoi …? J'ai défoncé mon carré de terre juste à côté d'une source. Et le long du ru qui s'en échappe. Rien que d'être là, çà vous embaume le coeur. J'avais déjà installé le long du filet d'eau une cressonnière, à l'ombre des peupliers. Et je lorgnais depuis un moment sur ce bout de terrain printanier, plus bucolique que les jardins de Sémiramis, si vous voyez ce que je veux dire. Alors je me suis décidé, dans les circonstances que vous savez, et entre deux ondées parce qu'alors là, même trempé, l'humus est une pure merveille. Cet été, je n'aurai qu'à tendre la main pour avoir de l'eau à volonté. Si c'est pas un cadeau çà !
Evidemment, il a fallu défoncer... Ah ben oui, sans un peu de travail on n'a point de plaisir. Un de mes amis, un peu bedonnant le bougre, a coutume de dire : « Moi, les outils à manche, je connais pas ». C'est un tort. Quand on connaît les outils à manche, et qu'on les affectionne un tant soit peu, on n'a pas de bedon. Hé hé ! Jamais de la vie je n'irai mettre un motoculteur dans un jardin. Ou alors quand je ne pourrai plus. Tôt ou tard. Un jour. Le plus tard possible. Un Zorba derrière un motoculteur ! Alors çà ! La honte !
Et donc voilà : demain j'épierre et j'enlève les racines, entre deux giboulées, après-demain je plante : mes concombres, mes courgettes, mes aubergines, mes poivrons, mes potimarrons, mes patissons, qui attendent en surnombre dans des godets. Elle est pas belle la vie ?
Je distribuerai plus facilement des légumes que des plants : les gens n'ont pas le temps que voulez-vous. Faut comprendre. Que mes plants surnuméraires ne les branchent pas trop.
Ben finalement si, vous aurez votre texticule tout frais pour demain matin. Trois minutes que çà m'a pris. Ce que c'est que l'entraînement tout de même !