Regrets

Lorsqu’on perd sa vie à la gagner, on passe à côté de tas de choses. En musique, en littérature, en philosophie, bref, toutes ces formes d’art qui auraient pu vous embellir la vie. Non pas que la vie ait été moche sans l’art, mon grand-père n’a jamais connu l’art, hormis quelque malaguena (je ne sais pas faite la tilda) qu’il chantait fort bien, pourtant sa vie fut dure et belle pour ce que j’en sais. Dure car il a perdu sept enfants, mais belle parce qu’il m’a beaucoup aimé. On voit que la beauté d’une vie ne tient pas seulement à l’art. Il y a bien d’autres choses passionnantes dans la vie. Mais je fus d’une génération qui aurait eu accès à l’art. Et je ne pus en profiter. Pas vraiment.

Il faut dire que pour se tenir informé des choses de l’art il faut avaler beaucoup de couleuvres avant de trouver la perle. En témoigne la bienfaisante cérémonie des « Gérards du cinéma ». Tout le monde connaît, je ne vais pas charger la barque des films qui me dégoûtèrent à tout jamais du cinéma sous le règne sans partage de la bande du Splendid. De splendides nullards. Avant de trouver la pépite, en art, il faut tamiser beaucoup de gangue.

La semaine prochaine re-repasse à la télé le film « L’arnaque ». Je réserve ma soirée. Non pas pour le film, mais pour la musique. J’adore entre autres, le ragtime, Scott Joplin et « mapple leaf » par exemple. On entend souvent du ragtime piano, mais rarement des versions orchestrales, comme dans l’arnaque. Et pour moi c’est comme du Chopin. J’ai dit comme. Je n’ai pas dit que c’en était.

Heureusement, j’ai des enfants. Qui eux ont le temps, la technique, les loisirs pour s’occuper d’art aux sirènes duquel j’ai toujours refusé de céder. J’ai volontairement tourné le dos à l’art, car sinon, il aurait fallu que j’en pratiquasse un. A fond. Et je n’ai pas voulu céder. Car comme il n’était pas question que je sacrifiasse au goût des arts par seul snobisme, je savais que si j’entrais en art, il me boufferait tout entier. Or il fallait que moi, je bouffe.

Et de temps en temps, mes enfants me dénichent une perle. Ils doivent beaucoup tamiser, les pauvres. Par exemple ceci, que je vous offre, parce que c’est dans mes moyens, je viens de me le faire cliqueter.

http://www.youtube.com/watch?v=Q29YR5-t3gg&feature=related

http://www.youtube.com/watch?v=0VAIr81BYuU

Ah j’en ai raté, de belles choses ! Mais on ne peut pas tout avoir, dans la vie. Bien sûr, j’ai des regrets. J’admire les gens qui répondent sans varier : non, je ne regrette rien, je ne regarde jamais en arrière…. Ce sont des andouilles ou des menteurs. Quand on n’a pas de mémoire, ou qu’on la refuse, on refuse l’intelligence. Alors des regrets, j’en ai. A la pelle. Mais je referais bêtement les mêmes choix : ceux du boulot.

Par exemple, je ne regrette pas les femmes que je n’ai pas connues. Cà non. Puisque je ne les connais pas. Mais je regrette les arts que je n’ai pas goûtés. Y compris les arts martiaux. Et je regrette les peines inutiles que j’ai pu causer injustement. Là oui, je changerais quelque chose. Mais le reste fut affaire de choix. Et je m’y tiendrais encore aujourd’hui.

Et aujourd’hui, il est bien trop tard pour pratiquer, autrement que comme un cochon. Sauf le jardinage. On peut, à tout âge, sans ridicule, jardiner. Enfin tant qu’on peut se tenir à sa bêche. C’est l’art primitif par excellence. C’est l’enfance de tous les arts. Il fait appel à tous les sens réunis. Tous sans exception. Alors je me rattrape. De bon cœur. Et lorsque ma fille m’appelle,  Papa, écoute-çà, je sais qu’elle a déniché une pépite selon mes goûts. J’arrive ventre à terre. Je délaisse un moment ma bêche, et le chant rouillé de la perdrix, pour rêver. J’aurais voulu être un artiiiiiiste…. ! Pour pouvoir faire mon numéro, çà c’est une autre histoire. Un artiste anonyme, disons. C'est-à-dire mort de faim.