Fidélité
Je vais arrêter de lire les journaux. Bis repetita, j’ai déjà dit çà le billet d’avant. Non mais je vous jure, à peine jeté-je un œil sur un article en passant, je fais un bond de deux mètres. Enfin, deux mètres…j’exagère un peu. Je nourris quelques doutes sur l’élasticité de mes mollets, aujourd’hui. Mais mettez-vous à ma place : je lis des énormités telles, que çà m’empêche de me concentrer sur mes tomates, qui sont la passion de ma retraite, le sel de mes vieux jours. J’espère quand même qu’il m’en reste assez, de jours, pour faire encore quelques bonds de deux mètres.
Michèle Marzano. La philosophe. Celle qui porte des lunettes à la mode. En fausse écaille. Non… ? Cà ne fait rien, je vous éclaire : « Nous sommes entrés dans une période de fidélités successives » écrit-t-elle. Alors… ? Vous voyez, pas besoin de vous expliquer longtemps. Michèle Marzano vient d’inventer les « fidélités successives », un nouveau concept, qui autrefois désignait tout bêtement l’infidélité. Mais pour le philosophe, l’infidélité, c’est trop simple. Et puis c’est borné. On doit pouvoir dépasser tout çà.
Vous allez voir, encore un peu, et elle va nous sortir la nouvelle mouture de la fidélité : des infidélités successives avec la même personne. C'est-à-dire que chaque jour, vous tromperez votre femme avec votre femme. Vous pensez si je connais… ! Je suis un vieux pratiquant.
« Tu sais quoi chérie ? Hier je t’ai encore trompée. Avec qui ? Avec toi bien sûr ! »
Ah la philosophie d’aujourd’hui, çà décoiffe ! On sent un vent de renouveau. Radical. Ecoutez je n’invente rien, Michèle Marzano vient de sortir « La fidélité ou l’amour à vif ». Chez Bouchet-Chastel. L’amour à vif, je ne vois pas bien. Les muqueuses sont peut-être irritées. C’est vache. Non, je ne l’ai pas lu. Et je ne doute pas un instant que son livre soit instructif et cuisant. Mais j’ai mes tomates…
J’ai toujours adoré les philosophes. Franchement, des gens qui vous débitent des sornettes au mètre linéaire par rouleaux d’électricien ne peuvent pas être des crapules. Ce qu’ils vous disent est tellement sincère. Une crapule réfléchirait à deux fois : vous vendre de la daube, d’accord, mais au moins qu’elle ait l’air de bon aloi, de bon poids. Les philosophes eux ne cherchent pas à vous carabistouiller, ils soufflent juste des bulles dont ils savent qu’elles vont exploser au moindre zéphyr. Mais çà fait rien : çà fait joli. Et c’est ce qui compte.
Tiens ! Selon la même critique littéraire (Anne Vidalie qui semble subjuguée par les bulles iridescentes) Michèle Marzano affirme : « On ne peut pas être fidèle à plusieurs personnes en même temps ». Eh oh ! Et la polygamie, c’est quoi !
Parfois, je suis tellement plié de rire que je me pète les incisives sur la table. Et encore, je n’ai pas lu le bouquin ! « Comment repenser la fidélité, de quelle manière la reconceptualiser ». Respect. Cà c’est de la rhétorique ! Moi j’aurais dit simplement : « Comment vagabonder avec ses papiers en règle ». Ou : « Comment prendre l’autre pour un con sans qu’il ait rien à redire ». Moi, la rhétorique, je n’y arrive pas. Pas à repenser, non, repenser je suis capable, mais le dire de cette façon ! Et là, on est sur un truc simple ! Quand c’est compliqué, alors…vous prenez le vent et vous partez avec les bulles.
« Si on ne peut plus s’engager sur la constance de l’amour, on peut en revanche promettre à l’autre l’authenticité ». C’est beau comme une statue grecque. Et çà veut dire… ? « Au nom d’une authenticité pleine et entière, je te préviens, dès qu’on a piné, un café et je me casse ». Cà peut vouloir dire aussi, si on conceptualise un peu plus : « Ecoute ma chérie, je suis bien avec toi, mais reconnais que je pourrais être encore mieux…moi-oi-oi-oh-que-je-m’aime». C’est l’amour nouveau. L’onanisme partenarial (attendez, je peux en inventer aussi, des concepts) : on cherche juste un partenaire pour s’aimer soi-même. Quand c’est fait, l’autre reste une quiche. Bon salut, on s’appelle. Là, vous reconnaissez tout de suite qu’il – ou elle - vous aime. Il – ou elle – tient à vous garder comme la prunelle de ses yeux. C’est ainsi que le philosophe reconceptualise l’amour. La courbe très sensuelle d’une cheville, que rien que de la contempler vous en êtes hébété, vous voudriez être cette cheville, c’est fini. On reconceptualise. Le coup de foudre devient : « c’est bien joli tout çà, mais j’ai un quota à remplir. Une feuille de route. S’agit pas de mollir ».
Allez, une dernière citation pour montrer que les philosophes, çà ne dit pas que des conneries : « Mais il est impératif d’accepter un certain nombre de contraintes pour que la relation soit effectivement authentique et ouvre un espace de partage privé et privilégié, particulièrement nécessaire face à la multiplicité des sollicitations et des contacts publics ».
Moi, ce que j’aime, c’est « l’espace de partage privé et privilégié ». Autrefois, on appelait çà le déduit. La chambre des parents, si vous préférez. Faudra qu’on en parle aux architectes, et qu’ils appellent çà : « l’espace de partage privé et privilégié ». Au moins, çà sent pas la sueur divine de celle que vous aimez.