Pyromanes
L'histoire des hommes est une totale tragédie mais la vie est la plus forte. Obscures tragédies migratoires des premiers âges qui accompagnèrent l'expansion humaine. Tragédie des luttes de pouvoir qui ont fondé les empires. Tragédies des peuples qui s'exterminent aujourd'hui même. Tragédie des ressources alimentaires, énergétiques, et tragédie des conflits religieux... La trace humaine se jalonne de grandes catastrophes mais aussi de drames quotidiens qu'alimentent les passions. Et tout est dit : l'âme humaine puise son énergie dans les passions et les passions sont la source de toute tragédie.
L'histoire des hommes est tragique, et le sera toujours. Jusqu'à sa fin. Tragique. Ce constat est d'une accablante banalité.
Et Zorba ne va pas se fendre d'une chronique pour ajouter la routine au train-train. On le sait, on le sent, même si l'injonction nous est faite de jouir, qu'il en sera toujours ainsi. En revanche Zorba est tout à fait remonté pour sauter sur sa haquenée et s'en aller tailler des croupières aux maniaques de la dénonciation, aux grands vertueux de l'agitation des esprits, à ceux qui ont fait leur fonds de commerce de l'inculpation d'autrui. Ceux qui par exemple s'en prirent à une athlète handicapée chinoise ou ont rendu cette honte possible pour dénoncer la Chine au Tibet. Dénoncer! Ah ils sont toujours là, ceux qui savent utiliser à leurs fins les moindres drames grands ou petits pour exhiber leur grande conscience. Ils sont partout. Partout. Chaque matin il s'en lève un vol, de ces grands esprits, de ces charognards en quête d'un malheur du monde à exploiter pour faire paraître plus immaculée leur candeur d'amis du genre humain. Et ils n'ont qu'un but, qu'une jouissance dans la vie : dresser le monde contre le monde, à la faveur de leur angélisme.
Qui n'est pas avec eux dans leurs justes croisades est une pourriture égoïste. Repliée sur son bien-être coupable, macérant dans son immonde indifférence.
Sauf que voici : moi Zorba, pas plus con qu'un autre, je ne sais que faire, je suis démuni contre les tragédies du monde. Et si vous, prophètes de bonheur, vous savez quoi faire, alors allez-y et faites-le. Sinon taisez-vous, sombres crétins de l'ébullition des esprits
Car il vous est bien confortable de vous payer une conscience sans tache, bien à l'abri de vos démocraties, sans risquer la moindre ampoule aux pieds sauf à manifester, rameuter tout ce qui compte d'insatisfaits, et coller le prurit de la culpabilité au simple père de famille qui trime pour les siens, à qui il se consacre. Il vous aura échappé sans doute qu'il est dur de gagner sa vie, ici et maintenant, compatissant aux malheurs du monde mais n'y pouvant pas davantage. Vous êtes bien au-dessus de la masse, nouveaux curés démocratiques qui nous enseignez la morale, de ce qui le bien de ce qui est le mal. Centres de l'intérêt médiatique, vous existez enfin dans votre immaculée conception du bonheur d'autrui. Sur tous les plateaux, sous toutes les pancartes, votre heure de gloire a sonné qui délivre au genre humain de quoi s'étriper de plus belle au nom de l'éthique. Malheur sur vous, souffleurs de braises et de rancoeurs mal éteintes. Le monde avait besoin de vous pour s'entre-déchirer derechef. Il n'y en a pas suffisamment de motifs de discorde, il faut encore que vous ajoutiez la haine à l'exécration... Chauffer à blanc les esprits est un sale métier !
Ouf...! Je reprends souffle ! Quoi, vous y avez cru ? Vous avez cru réellement que Zorba se lançait en politique ? M'enfin je plaisantais voyons ! Qui a dit déjà : "Le comique étant l'intuition de l'absurde, il me semble plus désespérant que le tragique" ? C'est Ionesco, je crois. Non mais vous me voyez ? En donneur de morale ? Déjà que je ne supporte pas d'être d'accord avec moi-même, comment voudriez-vous que je le sois avec autrui ! Cà ne veut rien dire...? Ah ben oui, tiens ! Mais dans un texticule, on peut dire n'importe quoi. C'est même ce qui en fait le charme. En tous cas qu'on se rassure, ce n'est pas demain que je me laisserai embringuer par des exciteurs de populace professionnels. Je le sais, que l'homme est une tragédie. Et alors ? Vais-je changer l'homme ? Il ne serait plus homme, d'abord. Il serait quelque chose qui ne peut exister sur terre. Et puis changer l'homme avec quoi ? Juste avec ma grande gueule ? Ma grande gueule elle vous dit une chose : jamais au grand jamais l'homme ne parviendra à sa propre béatification et surtout pas les agitateurs de consciences. Ou alors en rêve.
Alors je sais que le monde est tragique, nul n'en est plus conscient que moi. Mais que fait le Zorba texticulateur confronté à cette engeance maudite des moralisateurs de la pensée conforme ? Il s'ouvre une bouteille de rosé bien frais avec des olives anchois, qu'il déguste en leur tirant un doigt.
Chacun son truc n'est-ce pas ?