Age magique

Publié le par zorba

 

Je ne connais pas l'art élever les enfants. Mais j'éprouve un réel malaise à voir des enfants privés de leur enfance, justement.

Lors du premier stade de son développement mental, l'enfant doit se différencier de sa mère. Il expérimente qu'il n'est pas elle. Passée cette étape, il ne démêle pas encore le réel de l'imaginaire, c'est pourquoi il peut croire au petit chaperon rouge et cet épisode de sa vie dure jusqu'à l'âge de six ou sept ans environ : on donne à cette période le nom "d'âge de la pensée magique".

Et on aurait tort de vouloir brûler les étapes, serait-ce pour faire de l'enfant un surdoué, avantage qu'il risque plus tard de payer très cher.

En voici un exemple : Une mère de deux fillettes âgées respectivement de 9 et 6 ans, était comme un certain nombre d'entre nous un peu maniaque de propreté. Ce qui ne nuit jamais, il faut le reconnaître, et constitue même une qualité. Mais elle commit cette erreur (à mes yeux en tous cas) de tout expliquer à ses fillettes comme en un véritable cours de science destiné aux adultes : les microbes, les virus, leur développement rapide, les dangers qu'ils représentent en matière de santé, ceci inculqué jour après jour, à mesure qu'elle briquait tous les objets, coins et recoins de la maison. Résultat : sa cadette ne pouvait plus toucher une poignée ou un bouton de porte. Elle avait contracté une peur phobique des microbes. Et cette peur phobique constituait pour elle un véritable handicap car elle ne pouvait plus entrer ou sortir seule d'un local quelconque. Il lui fallait toujours quelqu'un pour lui ouvrir les portes sans quoi elle était prise d'une incoercible crise d'angoisse.

Son aînée, de caractère mieux trempé sans doute, s'était un peu mieux tirée de cette formation névrosante, ou avait conceptualisé les choses différemment, mais présentait tout de même quelques troubles mineurs liés à la propreté-désinfection.

Qui peut savoir de quelle manière un enfant appréhende les réalités qu'on lui présente ou qu'il perçoit ? Son psychisme absorbe à sa manière immature et inconnue de nous, adultes, ce qu'il est en mesure de comprendre, d'assimiler, et ce mode d'entendement inédit du réel doit sans aucun doute nourrir son inconscient et s'y faire une place, y laisser des traces, plus ou moins rémanentes, durables, incontrôlées.

Dans ce cas précis, l'éducation a abouti à une formation névrotique caractérisée, sans que l'on sache comment s'est propagée dans le psychisme de l'enfant cette phobie des microbes sur les poignées de portes.

Il m'apparaît que jusqu'à hier encore, les enfants ont toujours été, plus ou moins, nourris de contes de fées et de légendes favorisant leur tendance à tout fantasmer, ce qui ne repésente probablement pas la meilleure méthode éducative. Mais certainement pas la pire. Toujours est-il que rares étaient les enfants devant recourir à des psychologues pour se remettre d'aplomb. Et voici que tout à coup, par un changement de société, on nous incite à considérer les enfants comme autant d'adultes miniatures, à leur expliquer scrupuleusement le pourquoi du comment des choses du monde réel et certes, ils sont très vite en mesure d'y appliquer des schémas explicatifs, ils en sont même étonnants de maturité. Mais qu'ont-ils perdu sur le chemin d'une lente maturation, dans cette course à la raison, quel équilibre naturel a-t-il été rompu ou leur fait-il défaut pour qu'ils se retrouvent un jour, non pas forcément avec une névrose massive, mais un petit quelque chose qui grince dans leur développement mental, pour en faire le plus souvent des êtres apeurés à vie ? Et peut-être violents, autre expression de la peur.

Pourquoi ne les laisse-t-on pas vivre leur âge magique en paix, en leur répondant par exemple : Maman nettoie la maison parce que le petit chaperon rouge nettoie aussi la sienne, et c'est mieux. Point. (L'enfant en fera ce qu'il veut, ce qu'il peut, mais sans microbes gérant son inconscient futur...) La suite, l'enfant la comprendra en temps et en heure, lorsque son esprit sera en mesure d'établir de saines causalités, des rapports de cohérence.

Vous ai-je par trop gonflés, avec mes principes d'éducation d'un autre âge ? C'est juste que je plaide pour que les enfants aient une vie psychique d'enfants, ce qui conditionne leur équilibre futur. Pour que l'on ne commence pas les déformer avec nos propres angoisses au risque de les lancer dans la vie avec des psychoses, des névroses, et autres pathoses. Parlons-leur comme on doit parler à des enfants, les laissant profiter de leurs soucis d'enfants, au lieu de les charger trop tôt de toute l'angoisse du monde, lequel n'en est pas avare. C'est l'âge au contraire où il faut encore les protéger de nos propres démons d'adultes, ingérables pour eux. Racontons-leur encore un peu un monde magique et simple, qu'ils puissent appréhender à leur hauteur, à la dimension de leur corps en formation, ainsi que de leur esprit fragile. D'ailleurs, c'est lorsqu'ils commenceront à comprendre d'eux-mêmes qu'on se fout d'eux qu'ils seront motivés par une quête de rationalité qu'ils n'abandonneront plus

C'était le sermon de l'abbé Zorba. Que dieu vous bénisse et vous fasse le nez comme j'ai la cuisse

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Publié dans humour littérature

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F
Est-ce bien mon rôle de te dire que je suis d'accord avec toi ? j'aurai l'air de plaider pour ma paroisse non ?l'imaginaire, le féérique sont des nécessités et pas seulement pour les enfants. Il faut continuer à nourrir le lutin sur ton épaule longtemps longtemps, sans quoi il se dessèche et on devient des vieux cons.
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Z
<br /> Tu m'ôtes les mots de la bouche tiens...<br /> <br /> <br />
C
Ah bah voilà, cela correspond à l'année du CP, à 6 ou 7 ans les enfants ont un regard bien plus incisif sur toutes les fables que nous leur racontons. J'ai le souvenir de spectacles de marionnettes que je faisais pour les anniversaires de mon fils aîné, certains gamins y croyaient dur comme fer à mes imitations de sorcière, d'autres venaient vérifier derrière le mini théâtre que nous avions, pour savoir d'où venait la voix qui les faisait frémir. lolJ'ajouterais à ta démonstration, que le monde de l'imaginaire se cultive, au travers d'histoires lu ou inventées le soir avant le coucher des "chérubins". Mon fils aîné a écouté mes lectures jusqu'à ce qu'il soit au collège, en classe de 5éme (12 ans). Par contre cela n'a pas aussi bien fonctionné avec les autres. Pourquoi ? je ne sais pas trop. Pour le dernier, il plonge dans ses lectures tout seul le soir, il a 10 ans. Mais je lui en lisais encore il y a deux mois. Nous avons arrêté depuis.
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