Risque zéro
Dans les affaires humaines (et même les autres), le risque zéro n'existe pas, mais s'en approcher coûte de plus en plus cher. Voilà un théorème que tout mathématicien est prêt à vous démontrer, quand vous voulez.
Vous avez évidemment le risque zéro, qui consiste à ne pas naître. Et qui donc ne coûte rien, pas même l'eau que nous ne boirons pas. Et puis vous avez le coût zéro, mais qui ne garantit rien. Pas même de vous désaltérer si vous vous desséchez sur pied. Entre ces deux extrêmes, dès que l'homme bouge le petit doigt, dès qu'il se livre à la moindre activité, et a fortiori si cette activité est d'une technique pointue, le théorème trouve son application à peu près méthodique. Attention : je suis archi-nul en maths. Mais ce théorème, je suis prêt à le jurer. Et si vous m'y trouvez quelque exception, je veux bien manger mon chapeau. Un chapeau en gaufre de préférence.
Prenons le cas du système de santé : si le risque zéro est assuré (quel qu'en soit le coût) nous allons tous vivre, mais sans exception, jusqu'à 120 ans. Voire beaucoup plus puisque le risque sanitaire inclut en premier lieu le risque de décès. C'est à dire qu'on en est rendus dans ce cas cas à zéro mort, la mort est quasiment éradiquée, on ne s'éteint plus, le cas échéant, et en cas de distraction extrême, que comme une chandelle à laquelle la mèche finit par faire défaut. Encore que l'on puisse greffer une nouvelle mèche, une nouvelle vie. Eh bien j'ai fait le calcul de tête : le PIB de la nation n'y suffirait pas ! Voilà la fatale conclusion à laquelle mes calculs me conduisent. Approcher le risque zéro, c'est comme avoisiner la vitesse de la lumière. Rien que pour déplacer un gramme de carburant à vitesse luminique, il faut brûler des milliards de tonnes de carburant. Ou alors il faut se transformer soi-même en photons quoi. Et comme nous ne sommes pas de pures lumières... Même en concentrant tous les moyens sur le risque zéro, au point de quasiment l'approcher, il ne reste plus un radis en caisse pour l'enseignement, la justice, les forces armées, les vacances, le pastis, plus rien, tout le PIB est cramé sur l'autel du risque zéro de la santé publique. On voit bien que cela ne va pas être possible. Vous en êtes bien d'accord. Il ne nous reste même de quoi payer le pastis. Oui, pardon ? Ah oui ! Cet excellent Pelloux ! Eh bien Pelloux, vous êtes tout sauf un bon mathématicien ! Il va falloir retourner à l'école mon vieux.
Prenons le cas maintenant de l'enseignement et calculons les moyens financiers nécessaires pour atteindre le risque zéro de voir un élève quitter le système scolaire sans son doctorat en poche. Je refais mon petit calcul et que constaté-je ? Tout le PIB national n'y suffirait pas, encore un coup. C'est ballot ! En même temps, je me vois mal appeler mon boulanger « docteur ». Bien qu'il soit plus docte qu'un docteur en matière de boulange. Pourtant, je suis sensible au risque d'échec scolaire. Que vont faire tous ces docteurs dans la vie ! Poursuivre leurs études ? Est-ce une fatalité, que nous ne puissions assurer le risque zéro qu'au prix du PIB du pays ? Il faut bien se rendre à l'évidence : non ! Euh...oui !
Essayons un autre exemple pour voir si nous ne trouverions pas une exception à la règle du PIB : les transports publics. Quel que soit le coût pour atteindre le risque zéro de voir un train arriver en retard ! En fait, le problème revient à savoir :
a) A quel niveau d'investissement les trains ne tomberaient jamais en panne tout en desservant toutes les localités dignes de l'être ?
b) A quel niveau de rémunération les cheminots (Lucas, je sais que tu me lis) seraient dissuadés de prendre les usagers en otages.
Et le verdict tombe (ah, eh oh, ce sont les mathématiques qui parlent) : deux fois le PIB national. Voilà. C'est imparable. En fait, nous devrions tous travailler pour le rail et les cheminots. Même les retraités, puisque l'argent qui sert à financer les retraites doit alimenter le financement du risque zéro que les trains n'arrivent pas à l'heure. A fortiori qu'ils n'emplafonnent pas le zozo stationné sur la voie !
Si je comprends bien, rien que pour financer le risque zéro dans les activités essentielles à l'homme (je ne parle pas de l'accessoire comme les vacances, le ski hors pistes, le cinéma, la télé enfin toute activité qui ferait la douceur de vivre si on les finançait à hauteur du risque zéro), il nous faudrait six ou sept fois le PIB national. Et encore ! Avec un tel accroissement de l'activité destinée à financer ces six ou sept PIB, le risque zéro risque de courir le risque de prendre des risques. Ou alors, est-ce que quelques pays, de par ce vaste monde, accepteraient de nous donner leur PIB pour que nous puissions enfin parvenir au risque zéro de risquer quelque chose. Franchement, ce serait sympa de leur part.
Parce que sinon, nous voilà encore condamnés pour longtemps à manifester dans les rues y en a marre ! Y en a marre ! Y en a marre ! Des sous ! Des sous ! Des sous ! Tapez dans le PIB quoi merde, incapables de gouvernants de gouverner un gouvernement !
Moi j'en ai marre de voir des gens mal logés, mal soignés, mal nourris, mal éduqués, malpolis, malcontents. Il suffit de multiplier le PIB quoi merde c'est pourtant pas compliqué. Il suffit de prendre aux riches avant qu'ils ne partent avec leur PIB ! Quoi...! Merde...! Enfin... ! Gouvernements d'incapables! Vous n'avez qu'à m'élire, vous allez voir ! (Zorba, président ! Vos gueules les mecs, on pourrait vous entendre).