sms.

Vous allez encore dire que j'en fais trop, avec mon histoire de carte-mère. Hé bien elle connaît aujourd'hui un rebondissement inattendu. Vous vous souvenez peut-être que le vendeur d'ordinateurs m'envoya un SMS, que jamais je ne reçus, pour me dire que l'engin était prêt, réparé, remis à neuf, et que je n'avais qu'à venir le récupérer.

Le mystère de ce SMS jamais parvenu à destination est enfin éclairci.

Vous vous rendez compte un peu, de l'importance d'un SMS qui, arrivé à bon port, eût épargné dix longs jours d'angoisse à mes lecteurs ! Dieu merci, nul ne s'est tranché les veines ou la cariole. Pardon, faute de frappe : carotide. Nul ne s'est jeté du pont de Garonne. Pourquoi ne met-on jamais d'article devant Garonne ? Parce que Garonne est une personne, voyons. On peut dire « le » Zorba, pour signifier l'insignifiance dudit, mais affubler Garonne d'un article c'est lui manquer de dévotion. Enfin si ce n'est pas une personne, c'est en tous cas une déesse, ou une fée, ou quelqu'un de ce genre. On dit « le » Tarn, ou « l' » Aveyron, mais on dit Garonne. C'est une question de respect. On dit bien « en « Avignon. Ou « en « Arles. Parce qu'Avignon est un pays à lui seul. Non en fait, je crois que c'est une réminiscence de la langue Occitane qui disait aussi « en «  Marseille ou « en » Paris. Voilà. Mais le pêcheur conserve l'ancienne l'habitude : je vais pêcher à Garonne.

Vous allez encore dire que je noie le poisson, avec mon histoire de pêcheur. Lesquels, l'un comme l'autre, n'ont rien à voir avec mon SMS jamais réceptionné. Eh bien pas du tout. Au contraire même. L'info me tombe ce matin : « Un pêcheur trouve un téléphone portable à l'intérieur d'une morue ».

Vous n'êtes pas sans savoir que toute l'eau du globe retourne un jour à la mer. Même celle qui s'infiltre. Evidemment, le portable ne s'est pas infiltré. Mais il est tombé à l'eau. Eh oui... Et où, justement ? A Garonne. Et comment ? Il s'est jeté de la poche de ma fille du haut du pont de Garonne. Tandis qu'elle se penchait pour admirer ses eaux. Merde, mon portable. Et voilà. Il a voulu se suicider. Mais comment le numéro défunt de portable de ma fille s'est-il retrouvé chez le vendeur d'ordinateurs ? C'est ce que l'enquête préliminaire devra déterminer. Encore que je ne suis pas sûr que le suicide d'un portable soit de nature à nécessiter l'ouverture d'une enquête judiciaire. Il s'est noyé tant de désespérés, dans les flots de Garonne, dont les uns sont restés accrochés aux branchages de la rive et dont les restes en décomposition des autres ont fini dans le ventre d'une morue en plein atlantique. Même Joe Dassin, je crois, en a fait une chanson. Pas sur le portable de ma fille, non. Pas sur la morue non plus non. Sur Marie-Jeanne. Et qui s'est jetée du pont de « la » Garonne. Mais Joe Dassin n'est pas au courant de la personnalité de Garonne. Ou alors il lui manquait un pied. A son vers. Pas à Marie-Jeanne.

Ainsi, tandis que la morue recevait par erreur le SMS qui m'était destiné, et qui aurait sauvé des vies – car après tout, si quelqu'un s'est suicidé suite au fumage de ma carte de belle-mère, on n'a pas encore retrouvé le corps sur les berges de Garonne – si ma fille l'avait reçu à temps, pour me le répercuter – je sais, l'affaire est compliquée, comme tous les cas de suicide de cellulaires – mes lecteurs n'auraient pas eu à souffrir dix jours de plus d'une absence qu'un fin limier toutefois a réussi à tirer au clair avant tout le monde : j'ai nommé Linda Bldchamps. J'aurais dû dire une fine limière, mais introduire ainsi tout à trac un personnage surgi de Philoforum dans une histoire aussi complexe – et pour tout dire à peine croyable - ne laisse pas trop de place aux effets de style qui de toute façon n'éclairciraient que modérément les inévitables zones d'ombre qui obscurcissent encore cette déjà sombre affaire. Car toutes les informations ne nous sont pas encore connues : il faudra préciser par satellite le parcours du portable qui s'est nécessairement retrouvé en Gironde car les morues ne remontent en aucun cas Garonne. Et puis faire parler le cadavre de la morue afin de lui faire dire ce qui l'a poussée à gober un cellulaire suicidé. Vous voulez mon sentiment ? J'ai bien peur que cette affaire n'aille rejoindre celle des drames non élucidés qui s'empilent dans les archives de la justice. Pourtant j'ai foi en la justice de mon pays. Quant au pêcheur, il ne pouvait pas savoir, pas plus que sa fille, mais non pas Marie-Jeanne il est con çui-là, dans quoi il mettait les pieds en remontant son chalut, soyons honnêtes. Déjà bien beau qu'il ait rendu le portable qui permettra peut-être de suivre la piste de la morue portablophage. Il aurait pu le rejeter à l'eau sans rien dire à personne, preuve que les pêcheurs sont animés d'un sens aigu de la citoyenneté écologique, ce qui nous a permis de comprendre pourquoi jamais je ne reçus mon SMS. Et partant, de quelle manière lamentable je me pris dix jours dans la vue.