Carte-mère.
Cela faisait des siècles que par la force des choses mêlée d'une grande inconséquence ma verve texticulomaniaque s'était tarie.
En ce temps-là je m'appelais Zorba. Et tout à coup, le Zorba se retrouve devant un écran vide. Mais vide...avec juste un bip d'alarme sinistre et continu. Quoi, qu'est-ce que j'ai fait, encore. Ah ben dis donc il est pas content, le dernier joyau de la technologie ! Aussitôt, je pense : j'en connais deux ou trois qui ne vont pas être contents, demain matin, à l'heure du laitier, si je suis empêché de poster. Quelque chose me dit que ce bip entêté n'augure rien de bien joyeux. Et puis je relativise : tant qu'il ne pleut pas des roquettes, n'est-ce pas. On va arrêter les couillonnades un jour ou deux, le temps qu'un spécialiste dissèque les entrailles de mon ordinateur. Justement, je joins un spécialiste qui très vite me confirme : il faut ramener la tour de l'ordi chez le vendeur. Bon. Sauf que le vendeur, je ne sais pas où il crèche, c'est mon épouse qui a acheté l'attelage. Mais oui... elle va la ramener, la tourelle, chez le vendeur... En plus, mes texticules commencent à la gonfler léger, elle trouve que je néglige un peu le jardin. Elle qui aime tant se faire des bouquets. En février, à part la récolte des derniers topinambours... Je ne suis pas vraiment en retard. Allez zou, je vais l'accompagner chez le vendeur. L'événement est suffisamment exceptionnel pour être signalé (je n'aime pas faire les courses, ce n'est pas mon truc, j'ai l'impression d'y perdre ma jeunesse). Je charge la tourelle dans le coffre de voiture, et nous voilà partis, par une belle matinée ensoleillée. Je suis content de me faire conduire. Je suis toujours content d'ailleurs. Mais là, plus. On démarre, je pose ma patte gauche sur la cuisse droite de mon épouse et lui câline : « On est pas bien, là, tous les deux, dans notre voiture rouge, partant aux commissions... ». Du coup, elle est contente aussi.
Chez le vendeur, on apprend qu'il faut envoyer la machine à Toulouse. A Toulouse, on apprend que c'est la carte-mère. Ah bon ! J'ai fondu la carte-mère, moi ? Mais comment j'ai pu fumer la carte-mère, moi ! Qui ne fais qu'effleurer le clavier d'un index de fée, qui n'ai jamais pris les tapotes pour des enclumes. Moi qui ai le toucher plus délicat que le soupir d'une amante en son sommeil ! Comment la mère de toutes les cartes a-t-elle pu me faire un tel malaise, pareille thrombose. On apprend, consterné, qu'il faut commander une nouvelle carte-mère chez je ne sais pas qui. Et qu'aussitôt changée la carte-mère, on nous préviendra. En plus, on nous dit que tout est sous garantie. Aaaah...finalement, tout baigne.
Presque un mois plus tard, quand même, je m'inquiète que tout baigne autant. Le soupçon commence à poindre sous mon insoucieuse complexion. L'adversité de la vie m'a rendu granitique aux coups durs mais un mois commence bientôt à faire un peu longuet même pour changer une maîtresse-carte. Allons aux renseignements. Heu... ne quittez pas...oui, on vous a envoyé un SMS il y a dix jours. Ah bon ? Un SMS ? On fait le tour des téléphones, pas de SMS. Peut-être sur un téléphone oublié, va savoir.
C'est con, hein ?
Je sais, je suis au-dessous de tout. Mais dites, c'est que j'ai repris mes habitudes de saison, moi. Planter l'ail, l'échalote, les oignons, les poireaux, semer les pissenlits et autres verdures...retaper la tonnelle... débiter le frêne couché en travers d'un chemin de terre, oula, mais c'est que j'ai encore des clous à redresser moi. Je veux dire : du fil à retordre.
Retour enfin de la tourelle de l'ordi à la maison. Pas question que je m'en approche : ma fille a des tonnes de messages en souffrance et bien que je souffre aussi, c'est son dernier jour de vacances, alors hein... C'est sûr, j'ai toute la vie devant moi. Ma fille, non. Et de toutes façons, changer de carte-mère semble impliquer de reconfigurer pas mal de choses, dans cette satanée tourelle, et çà... c'est même pas la peine. Moi je suis juste bon à cliqueter sur ce qu'on m'a montré, et encore, j'en ai oublié la moitié tellement çà me barbe. Et puis, il faut dire que l'engin a été acheté à l'origine pour elle. Pour ses cours de bio. Moi, je n'étais pas même censé tapoter le moindre texticulet. Pas même censé tomber sur Philoforum takavoir.
Et lorsque enfin je parviens à accéder au blog de Zorba – que je me demandais si j'allais même le retrouver, ou si lui me reconnaîtrait, s'il n'allait pas exiger de moi de renouveler une batterie de codes et empreintes ADN où voulez-vous que je les trouve, et persuadé de toute façon qu'il n'en subsiste que ruines – oh punaise, panique à bord : « Et qu'est-ce qu'il devient... Et il nous manque... Ah le salaud... On n'a pas le droit... »
Oh foutral de putaragne dis donc que t'as intérêt à te remettre au taf, le Zorba. Franchement, c'est émouvant. Non sans blague. Cà fait un choc dites. Je savais que çà plaisait bien, mes texticulages, mais là, dans les messages, j'ai senti par moments comme des accès de désespoir, parole. Faut pas vous mettre dans des états pareils les gars. C'est juste une panne d'ordinateur...
Cela dit, je sais ce que çà fait, j'ai vécu bien plus injuste : je lisais la chronique hebdomadaire d'Odile Grand (celle qui « découvrit » Pierre Desproges). J'aimais bien son style. Je le lui disais. Un jour elle m'envoie un courrier pour me dire qu'elle allait devoir s'arrêter. Elle luttait contre la maladie. La tuile. La vraie de vraie tristesse. Et puis ce fut fini. A peine un entrefilet dans le journal. Show must go on. Les cimetières sont pleins de gens de talent.
C'est triste ? Mais aussi ! Ce sont vos commentaires qui par contrechoc psychique m'ont collé le bourdon, en me ramenant ce souvenir... Ne vous attachez pas, mes amis, je ne fus que de passage. Mais très content pour sûr d'avoir pu égayer vos petits déj, çà on ne me l'enlèvera pas.