Amandier

Publié le par zorba

 

 


« Je vais planter un amandier, mais d'amandes amères ».

« Quoi... ? Mais tu es malade ! » C'est mon épouse qui parle. Voilà. Voilà comment on me parle. A moi. Sous mon propre toit.

Bon c'est vrai, planter un amandier pour avoir des amandes amères, c'est un truc de ouf. Surtout que j'en ai déjà deux, amandiers. Qui donnent des amandes douces. L'homme se casse la nénette à planter des amandiers à amandes douces, et moi je veux en planter un à amandes amères. Si vous croyez, tout de même... Il va falloir l'enfermer le Zorba, il est caduc, complètement jobastre. Oui mais voilà, c'est un retour d'enfance. Et une enfance, d'après moi, çà se respecte.

Nous avions un très vieil amandier, dans le jardin de l'enfance. Un côté de l'amandier donnait des amandes douces, et l'autre côté des amandes amères. Résultat sans doute d'une greffe approximative. La greffe avait pris, il y a peut-être cent ans, mais il avait poussé des branches sauvages sur le porte-greffe. Et les sauvages étaient amères. Je ne philosophais pas, bien sûr, à cet âge. Mais aujourd'hui je sais que la vie est un amandier à moitié greffé : un côté doux, l'autre amer.

Avec mes frangins, nous nous installions sous l'amandier – du côté doux bien sûr – chacun son caillou, et en avant, à nous gaver d'amandes douces. Manque de pot, de temps en temps, une amande du côté amer avait rebondi dans sa chute du côté doux. Ou peut-être le vent. Et impossible de les distinguer, c'étaient les mêmes. Alors chaque fois que l'un d'entre nous tirait une amande amère et se la croquait avec les douces, au bout de deux coups de mâchelière, pouacre ! beurk ! Artchouf ! Obligés de recracher par terre la totalité de la bouchée. Les douces avec, tellement c'était amer. Et alors là l'amertume subsistait sur nos papilles même après en avoir mangé une nouvelle fournée de douces. Car vous vous doutez bien qu'on ne les mangeait pas une par une... Jusqu'à ce que l'on retombe sur une amère. Tout à refaire... Et il n'était pas question de s'arrêter tant que nous avions de l'amertume en bouche.

On est bête hein? Quand on est gosse. De toute façon, il n'y avait pas d'autre moyen que de les goûter tiens pardi.

Et figurez-vous que j'ai gardé de l'enfance un goût prononcé pour les gâteaux parfumés à l'amande amère. Va comprendre, Charles. Ou les crèmes. Ou les glaces.

Et que je rêve d'un amandier qui donne des amandes amères. Pour rien. Comme çà. En plus, c'est facile : vous prenez une amande douce, vous l'enfouissez, et il sort un amandier sauvage. Non greffé. Amer.

« Quoi ?... Mais tu es malade ! » Voilà. C'est ma femme. Qui me coupe la chique. Comme si une envie d'enfance était une maladie ! C'est vrai qu'à mon âge, c'est quand même un peu bizarre. Je ne suis pas toujours très net. Mais quoi... Je ne gêne personne, non ? Est-ce que j'ai dit que quelqu'un devait en manger ? Non ! Les écureuils, si çà les amuse. Surtout que j'ai de la place... pour planter même un amandier sauvage.

Alors dans ces cas-là, lorsque ma femme m'attrape ainsi, je n'insiste pas. Holà, pas d'histoires. Surtout que je n'ai aucune bonne raison à lui opposer : planter des amandes amères, serait-ce par accès d'une nostalgie ridicule, c'est idiot. Carrément. Tiens, même vous,vous trouvez çà ridicule.

Alors voilà ce que je vais faire : je vais me récupérer discrètement une amande de l'amandier, je me vais la faire germer en douce, plus exactement en douce-amère, lors de mes prochaines germinations, et puis toujours en loucedé, j'irai me planter mon amandier amer à 300 mètres, là où elle ne va jamais. Au milieu d'une haie si çà se trouve. Et même deux, pour la fécondation. Et ce sera mon secret. De toute façon, même si d'aventure elle venait à lire le présent texticule, elle ne saurait pas où je les ai flanqués. Vas-y cherche.

Ils ne donneront probablement leurs premières amandes que dans dix ans. Mais je m'en fous. Je sais que quelque part, j'ai un amandier amer. Et çà suffit à mon bonheur. Quand il aura un tronc comak, vas-y tiens, le couper. Je la vois, avec une tronçonneuse, ah ah ! Et puis si j'ai envie de rien dire, je dirai rien. A personne. Et toc.

Publié dans humour littérature

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M
La vie est un amandier batard, c'est sûr, ... nous en sommes les fruits.
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Z
<br /> Ben oui, doux et amers, et c'est ce qui me fascine au point de vouloir un amandier sauvage dans mon verger. C'est pas de l'idée fixe, çà...?<br /> <br /> <br />
R
Sinon ,il y a aussi les  am"e"ndes amères ...autrement  nommées "pains" dans le sud-ouest !
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Z
<br /> Dites aussi "prunes"...!<br /> <br /> <br />
C
Oups ! personne n'a rien vu : amandes AMERES... moi et l'orthographe...
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Z
<br /> Non mais t'inquiète pas Claire, on avait compris...<br /> <br /> <br />
C
Ah mais je n'ai jamais dit qu'il fallait s'ingurgiter de la purée d'amandes amer non plus ! oh là là...
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C
De toute façon, comment faire pour être capable de savourer la douceur des amandes si de temps en temps nous n'avons pas quelques fausses notes un peu amères pour nous rappeler combien les autres sont agréables et plaisantes.
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Z
<br /> <br /> D'accord Claire ! Mais il ne faut pas trop d'amandes amères dans le potage... Cà finit par énerver...<br /> <br /> <br /> <br />