Ecole

Publié le par zorba

 

 




Dès que les portes de l'école s'ouvraient à cinq heures pour nous libérer, nous étions une quarantaine de gamins à gicler comme des bandes de perdreaux à cartable. Les uns filaient directement au goûter que les mères étaient déjà en train de tartiner, les autres tout aussi directement vers les vergers alentour se gaver de fruits, cartables jetés comme des dépouilles au pied des arbres et le plus étonnant de l'histoire, c'est que personne ne semblait s'apercevoir de la disparition soudaine des récoltes.

Oui mais voilà. Quelqu'un veillait. Non pas les propriétaires des arbres saccagés. Peu après l'heure de la sortie, tandis que les pensionnaires retournaient en étude jusqu'à sept heures après une courte pause, Monsieur Palacin, le directeur, enfourchait sa moto. Vroum, vroum. Il la chauffait doucement. Puis démarrait à vitesse réduite, et commençait à patrouiller. Une rue après l'autre, un raidillon après l'autre. Il passait partout, avec sa moto. Jusque dans les chemins creux qui menaient aux vergers. Jusqu'au terrain de foot bien sûr. Jusqu'à la rivière, qu'il était capable de longer en épiant tout mouvement suspect. Et gare à celui qui n'était pas à ses devoirs.

Avec sa Terrot, il faisait le terroriste, Monsieur Palacin. Dès qu'il repérait une ombre discrète se défilant à l'angle d'une rue, vroum, en deux tours de roue il était sur le fuyard. « Monte ». Pas de discussion. Rien. Le môme montait derrière, sans piper, avec son cartable et direction l'étude, jusqu'à sept heures. Clair et net. Et le lendemain, convocation chez lui-même en personne à son bureau de directeur. C'est bien simple : on faisait au froc.

Au bout de quelques jours, après la rentrée, tout le monde avait compris : à la maison, et aux devoirs. Il se trouvait bien sûr toujours quelques irrédentistes. Des mioches qui se faisaient régulièrement choper et ramener à l'étude. C'était plus fort qu'eux, il fallait qu'ils vadrouillent. Et çà, la vadrouille, Monsieur Palacin n'aimait pas.

C'était une affaire entre lui et nous et nous avions toujours le dessous. Parce que si les parents apprenaient... qu'on s'était fait choper... Pour les parents, si on n'était pas rentrés à cinq heures, c'est qu'on était retenus en étude. Parce que les instits avaient le droit bien sûr. Ils savaient très bien, les instits, qui de nous devait renter à pied à la ferme pour donner un coup de main à traire, et qui de nous habitait le village. Et si la fantaisie leur prenait, suite à de mauvaises notes, de nous faire rester en étude de cinq à sept, ils n'avaient qu'à ouvrir la bouche. « Toi tu restes en étude ». Pas plus difficile que çà. Ah les vaches. Alors quelquefois, en se faisant discrets, on parvenait à tromper leur surveillance, espérant qu'ils avaient oublié qu'on devait rester en étude. Mais il fallait se montrer malin vous savez. On ne la leur faisait pas comme çà.

Et par-dessus tout çà, l'arme fatale, c'était Monsieur Palacin et sa moto. Oh, pas besoin de gendarmes. L'ordre régnait. D'ailleurs une fois, c'est un fils de gendarme qui s'était fait pincer : il avait passé la nuit en prison. Ouais, en taule.

A un moment, vous savez ce qu'ils étaient allés jusqu'à imaginer, ces malades, et Monsieur Palacin ? A rendre l'étude obligatoire pour tous, sauf ceux qui devaient aller traire ou rentrer les foins. On est passés à deux doigts je pense. En tous cas, si le coup a loupé, ce n'est pas du fait de l'opposition des parents, je peux vous le dire. Ils auraient très bien pu, nous faire le coup de l'étude ! Chaque directeur faisait sa république hein ! Ils auraient pu... Quand j'y pense, si on est passés près...!

Mais aussi les résultats du certoche, tiens...! Tout le monde savait lire écrire compter, jusqu'au plus crétin sur les problèmes de robinet et de trains. C'est clair. Suffisamment pour entrer en apprentissage ou reprendre la ferme paternelle. Pourtant, on n'était pas des flèches. Enfin, il y avait de tout. Mais même le plus réfractaire, à ce régime Palacin passait son certoche avec succès. Une année ou l'autre. Tous des fils de la République, tous les mêmes devoirs et obligations, pas d'histoire. Enfin si, on avait histoire de France et 1515. Je veux dire, pas de discussion. T'avais qu'à juste essayer de dire M'sieur j'allais aux commissions et il te chopait par le col, que tu te retrouvais assis sur la moto en moins de deux.

Ah, Monsieur Palacin, grand salopard, vous en avez fait, des générations de certifiés. Personne sur la touche. C'est monstrueux.

Publié dans humour littérature

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H
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M
Zorba, je plaisante.. Pardon si j'ai été maladroit!
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Z
<br /> Mais non mon ami, c'est moi qui joue la dignité offensée... Tiens, je ne vais pas me priver d'une aussi belle comédie... A ton tour, excuse-moi.<br /> <br /> <br />
M
Ah les retenues!De mon temps, mes p'tits gars, c'était quèquechose!Aujourd'hui, les morveux, y savent pas quoi faire quand qu'le robinet coule et qu'la baignoire fuit!Merci Zorba!
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Z
<br /> <br /> Toi michel, tu es tellement fin que je n'arrive pas à savoir si tu te fous de ma gueule <br /> <br /> <br /> <br />
R
leurs enfants (tsstss)
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Z
<br /> <br /> Non mais on avait rectifié... (tsstss)<br /> <br /> <br /> <br />
R
Ce qui a fait que je n'ai pas repris mon métier d'institutrice , outre le fait que  mon mari  subvient amplement à nos besoins , c'est cette impossibilité de travailler  avec ses élèves  "à l'ancienne"  je dirais  ...On me reprochait de trop  m'impliquer  , de trop  m'attacher , "ce ne sont pas tes enfants " ; combien de fois l'ai-je entendu !  En fait ,  je crois que  mon "implication"  disait à mes collèguues   combien ils n'en avaient aucune !Ils ne comprenaient pas et trouvaient "malsain"  que des parents  pleurent en fin d'année  parce que leur enfant  ne m'auraient pas comme instit  l'année suivante ...pourtant  , j'avais une réputation de  "sévère" ...mais juste !
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Z
<br /> <br /> Le problème aujourd'hui c'est que si tu fais les gros yeux à un bambin tu te retrouves avec un procès au cul... Et puis Dolto est passée par là : l'enfant est un génie, il faut le laisser<br /> s'exprimer et baver d'admiration devant lui... Finalement ce n'est la faute à personne, c'est une évolution sociétale...<br /> <br /> <br /> <br />