Stupéfaction.

Publié le par zorba

 

 



A force de rire on peut mourir de convulsions. Et même dans d'atroces convulsions. Le rire sans remède devient surtout dangereux après huit jours. Seul un coma bienfaisant peut vous sauver. Il en va de même de la stupéfaction. Une mâchoire qui pendouille trop longtemps peut vous perdre. C'est pourquoi je fais en sorte de ne pas demeurer stupéfait trop longtemps. Et c'est à quoi je viens juste de réchapper avec la nouvelle que je viens d'apprendre. En principe, mon éloignement du monde, sauvagement cultivé, me met à l'abri d'un accident de stupéfaction, m'évite de me madériser, figé dans la posture ébahie de la statue de sel. Le sel ne madérise pas, çà je le sais. C'est juste pour dire.

Je vois – et entends – aux informations qu'un type a décidé – on appelle cela un locavore – de ne se nourrir que de produits issus d'un rayon géographique inférieur à 200km de son lieu d'habitation, en se faisant suivre pour cette expérience inouïe par un médecin et un nutritonniste.

D'abord, j'ai oublié le nom de ce type (il faut pas abuser de sa mémoire), car aussitôt je me suis mis la tête sous mon coussin anti-sidération. Pour me dépêcher de ne plus y penser, car je sentais venir un début de stupéfaction mortelle. J'ai alors attendu que le risque de paralysie sidérative soit passé avant de venir vous en parler. Mais ne me secouez pas, je suis au bord de la lézarde.

Appelons donc le type Jojo-le-locavore. A mon avis, déjà – et je vous le livre tel quel, brut de décoffrage, sans réfléchir ni ébavurer la moindre aspérité de jointure du coffrage – Jojo a oublié un détail de la plus haute importance : il a oublié de se faire suivre aussi par un psychiatre. Car attendez, le docteur et le nutritionniste c'est bien beau, mais supposez que ce soit sa tête qui lâche, à Jojo, hein ? Qu'est-ce qu'on fait !

Et puis, son essence, il la prend où ? D'accord, il ne boit pas d'essence, mais dans ce cas, il doit préciser au moins que son expérience sans précédent dans l'histoire de l'humanité ne concerne que les produits strictement alimentaires. Et dans ce cas, si la limite qu'il se fixe arbitrairement est de 200 km (j'imagine qu'il s'agit d'un rayon, donc le diamètre fait le double sauf erreur : 400 km), le Jojo se la joue un peu facile en dépit du risque que nous ne songerons pas à minimiser. Rendez-vous compte un peu : si se nourrir de produits issus d'une région couvrant 400 km de diamètre constitue un exploit nécessitant de se faire suivre par un médecin et un nutritionniste, à combien de professionnels de santé celui qui se nourrit des produits hectométriques de son jardinet devra-t-il faire appel ? Une simple règle de trois, quatre au maximum, suffit à trouver la réponse : à tout le personnel de la clinique Henri Mondor. Bonjour la sécu.

On ne parlera pas du sel et de l'huile, qui nous viennent de Provence, mais pour le reste, sauf à habiter le Sahel ou le Nunavik, dont je salue les populations méritantes, on peut, sans trop manquer, faire venir à peu près n'importe quoi chez nous à part les bananes et je reconnais qu'il est dur de s'en passer. Certes, tout le monde n'a pas que cela à foutre, tout le monde n'est pas obligé d'aimer le jardinage – pour l'effort de réflexion que çà demande ! - tout le monde non plus n'est pas tenu de vivre en autarcie, et on peut comprendre celui qui est habité de la curiosité de voir et goûter ce qui se fait ailleurs, moi le premier. Alors à quoi rime cette expérience, qui risque même de détourner des secours si coûteux et si utiles en montagne ou en mer, pouvez-vous me le dire ! A rien. Elle ne démontre rien que l'on ne sache déjà : il est possible, même en ces temps troublés de double crise, économique et de confiance en soi, de se nourrir des produits du terroir, il suffit de porter un tout petit peu d'attention à ce que l'on achète. Et voilà que Jojo-le-locavore, et puisqu'il faut que le mot locavore serve à quelque chose, nous fait du neuf avec du vieux, suivi pour cela tel l'athlète de haut niveau que si çà se trouve il n'est même pas, par un médecin et un nutritionniste, excusez du peu.

Hé bien moi, Zorba, je suis en mesure de vous sidérer bien davantage : je puis vous prédire l'avenir de Jojo-le locavore. Il va créer le CULC ( Confédération Universelle des Locavoristes de Choc). On peut manger local et néanmoins être humaniste. Ah si ! il faut être humaniste de nos jours. C'est indispensable : si vous ne montrez pas votre badge d'humaniste dûment encarté, vous n'êtes pas universaliste, et çà, c'est très grave, moi je vous le dis. Notre Jojo, qu'on aurait pu aussi bien appeler José, va nous organiser des manifs tous ensemble tous ensemble pour faire interdire le transport de denrées et marchandises au-delà d'un rayon de 200km. Il se fera inviter sur tous les plateaux de télé ( c'est déjà là que je l'ai aperçu), écrira un livre et fera le tour des média pour le présenter et le défendre. Il va nous mener un foin de tous les diables, avec fauchage desdits foins récoltées à plus de 200 km, traînant dans son sillage tous les frustrés acculturés qui ne rateraient aucune, mais aucune occasion de nous ramener à l'âge béni de la pierre polie. La suite, vous la connaissez : un maximum de bordel pour un maximum de nuisance et d'empêchement de faire ce qu'on a à faire et qui n'a aucune espèce d'importance qu'est-ce que vous croyez, vous n'êtes pas non plus le centre du monde avec vos minables occupations...

Ecoutez, vous ne pouvez pas me soupçonner deux secondes de haine de classe ou idéologique puisque c'est ainsi même que je vis : des produits hectométriques de mon jardin. Même mon épouse en a par-dessus la tête de ce que je lui ramène, ses congélateurs sont pleins, ses bocaux aussi, je fais même mes fromages et rien n'exclut que je ne me lance aussi un jour dans ma petite production pinardière. Mais nom de dieu je ne veux pas obliger les autres à en faire autant ! Enfin quoi merde. C'est du fascisme, çà !

Tiens, la rage m'étouffe que j'en reprends ma bêche, là... Cà m'évitera les pépins de stupéfaction convulsive.

Publié dans humour littérature

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R
Ha bah vi hein ! A force de laisser les  "bêtes à manger de l'herbe" soutenir à qui veut bien l'entendre que la Nature  se venge de l'homme moderne ...voilà qu'on crée  une expérience  à la hauteur des gogos  qui gobent  tous les  bobards  des sectes écologistes . Avec la caution scientifique , tout devient  tellement plus "vrai" , sérieux , intelligent ....
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Z
<br /> Rien de plus abêtissant que des effets de mode qui se prennent au sérieux ! Heureusement Zorba est là pour veiller au grain.... Nous sommes sauvés !<br /> <br /> <br />